Kentoc'h Mervel - ft Kelsier [TERMINE]

Kentoc'h Mervel

Theresa & Kelsier

D’un geste franc, tu balances ta serviette humide dans l’un des paniers qui traîne ici. Tu prends le temps de réfléchir à sa proposition, pas que tu songes réellement à quitter ta place dans la milice pour devenir mercenaire, non, c’est hors de question. Disons plutôt que tu te demandes si tu pourrais réellement faire ce qu’elle fait, elle, au quotidien, et rapidement, la réponse s’impose à toi. C’est non. Tu es dur. Tu parais souvent d’une froideur impensable. Tu as ta réputation, c’est vrai, n’empêche que tu n’es pas de ceux qui aiment à servir le plus offrant, bien au contraire. Tu n’aimerais pas être à la botte de gens comme ton père, par exemple alors oui, ta place dans la milice te convient parfaitement. Tu es là où tu devrais être, même si parfois, il est vrai que tu aimerais pouvoir faire plus.

▬ Je suis à ma place. Être mercenaire, ce n’est pas pour moi. Ce n’est pas demain la veille que je servirais uniquement les plus … riches.

Rageant, n’est-ce pas ? Même aujourd’hui, alors que la mort était partout, il y avait encore des paliers différents. A croire qu’il était impossible pour l’être humain de rester sur une marche, une seule marche. Non, il fallait toujours qu’il y en ait pour se placer plus haut que les autres sur le grand escalier. A vomir, n’est-ce pas ?

▬ Je n’ai pas dit que tout était parfait.

Loin de là. Et tu n’étais pas assez stupide pour croire, penser que toute la milice était clean. Tu étais au courant pour les vols, pour certains mauvais traitements, pour les décisions parfois très arbitraires, et pour tout un tas d’autres choses qu’évidemment, tu ne cautionnais pas le moins du monde. Malheureusement, tu n’avais pas encore le pouvoir de garder un œil sur tous les miliciens à travers ce district, tu te contentais des hommes et des femmes qui étaient sous ton commandement.

▬ Je suppose que plus on aura de personnes motivées et intègres dans nos rangs, plus ça deviendra facile d’arrêter ou au moins de diminuer ça.

Ou peut-être que tu rêvais. Peut-être que ce serait toujours comme ça et que ni toi, ni personne ne pourrait jamais rien y faire parce qu’après tout, chacun avait probablement mieux à faire, et toujours plus important aussi.

Tu quittes le banc, tu viens attraper ta veste dans ton casier, avant de le refermer et de la mettre sur tes épaules. Puis, tu viens reposer les yeux sur Theresa, tu la détailles un instant, dans tes vêtements bien trop grands pour elle, évidemment.

▬ Mes vêtements ne te mettent vraiment pas en valeur … Comme ça, elle avait l’air d’une enfant miséreuse. Tu es libre.

Simplement parce que tu n’avais plus la moindre raison de la garder, tu aurais même pu la laisser repartir à partir du moment où tu avais eu la possibilité de vérifier qu’elle n’avait de trace de morsure.

Kentoc'h Mervel

Theresa & Kelsier

Tu sens bien que tu n’auras pas de gain de cause. Que tu ne parviendras pas non plus à lui faire au moins un peu entendre raison et de toutes façons, Kelsier, ce n’est tellement ce que tu cherches. Chacun ses convictions. Chacun sa façon de faire, et de voir les choses. Rien ici n’était parfait, loin de là, mais le dernier District de Hope City pouvait au moins se vanter de sauver des vies, et surtout, d’en préserver. Alors oui. Tu abandonnes rapidement. Tu n’as pas spécialement envie d’argumenter, ou même de faire traîner cette pseudo discussion en longueur. Ce qui était certain, c’est que vous étiez différents.

▬ On recrute encore, oui. Je suppose qu’entrer dans la milice semble être … le meilleur moyen de se rendre utile pour beaucoup de monde.

Tu t’apprêtes à retourner à tes occupations, maintenant. Tu es pratiquement certain qu’elle ne représente aucun risque, tu n’as pas envie non plus de lui infliger l’isolation. Alors oui, elle est libre, et tu te fiches bien finalement qu’elle te ramène tes fringues ou pas un jour. Tu ne la connais pas. Elle a beau avoir donné ta parole, comment pourrais-tu être certain que cette dernière vaut quelque chose ? C’était qu’une chemise. Deux chemises, en fait. Et un pantalon. Ouais. Tant pis.

▬ Je ne te mets pas en isolation, non. A moins que tu y voies une objection. Et tu en doutais fortement. Mais voilà. Elle te surprend, sur ce coup. Elle te prend de court. Et la voilà en train de te faire une espèce de petite leçon de morale, parce qu’elle veut bel et bien aller en isolation, mais pour couronner le tout, elle veut t’y coller aussi. Et pour y avoir déjà séjourné, une ou deux fois, tu sais pertinemment que t’as aucune envie de t’infliger aujourd’hui, pour rien en plus. Hors de question. Si tu y tiens, je t’y emmène et je t’y enferme même moi-même. Mais tu iras seule.

Est-ce qu’elle allait trop loin à ton goût, cette fois ? Complètement. Alors tu fronces les sourcils, et tandis qu’elle tient la porte, tu sors des vestiaires et ta main agrippe son bras. Tu l’embarques avec toi, tu suis le couloir, et tu descends un escalier, rapidement, sans faire attention au fait qu’elle y parvienne, ou pas, cette fois. Tu n’es pas énervé. Elle veut aller en isolation, parce qu’elle estime ne devoir prendre aucun risque, très bien. Tu n’as pas de soucis avec ça.

En bas, tu accostes l’un des miliciens. Tu lui expliques alors rapidement que tu as un doute sur la contamination, qu’elle n’est pas blessée, mais qu’elle était couverte de sang. Tu ajoutes qu’elle a eu une douche, qu’il n’y a plus qu’à l’enfermer.

▬ Ma clé est en haut. Donne moi la tienne, je vais m’occuper d’elle, finis-tu par ordonner au jeune milicien.

Kentoc'h Mervel

Theresa & Kelsier

T’es décidé. Décidé à la laisser là, et à repartir dans la minute après l’avoir collée dans une cellule d’isolement. Non. Ce n’est toujours pas de la colère. Tu ne fais qu’accéder à sa requête, après tout, et tu attends, fermement, que ce jeune milicien ne se décide à te donner sa clé, parce que normalement, il ne devrait pas y avoir de soucis. Tu es connu, par ici, au sein de la milice, chacun sait qu’il peut te faire confiance, alors tu ne doutes de rien. Jusqu’à ce que Theresa ne fasse des siennes, à nouveau. Elle braille. Elle se plaint. T’es trop grand. Elle est trop petite. Tu vas trop vite. Elle finit par s’adresser au milicien pour lui balancer que t’as touché le sang dont elle était couverte et que tu pourrais, toi aussi, avoir été contaminé.

Un soupire – oui ça continue – s’échappe de ta bouche tandis que tu fixes ton subordonné avec sévérité, espérant sans doute qu’il t’écoute toi, plutôt qu’elle. Sauf que quand tu reposes les yeux sur ce pauvre type, tu ne lis dans son expression que de l’hésitation. Il est perdu. Il hésite sur la marche à suivre, et il tient la fameuse clé entre ses doigts et si effectivement, tu pourrais la lui prendre sans la moindre difficulté, tu te résignes. Ta langue claque dans ta bouche produisant le son caractéristique de ton agacement.

▬ Bien.

C’est tout ce que tu trouves à répondre après ses petits discours moralisateurs. Et d’un geste assuré, tu attrapes la clé dans la main du milicien qui proteste aussitôt, comme s’il n’attendait que ça, que tu agisses pour prendre sa décision. Tandis qu’il se lance à ta poursuite, tu continues de t’avancer, et puis, tu viens de nouveau attraper Theresa. Tu te fiches bien de ses protestations. Du fait qu’elle parvienne difficilement à te suivre, tu déverrouilles la porte droit devant, et tu avances encore, pour finalement pousser la jeune femme dans une pièce vide. Une cellule. Une fois qu’elle est à l’intérieur, tu lances la clé au milicien, et puis, tu entres à ton tour avant de fermer la porte.

▬ Deux tours, vous connaissez la procédure, je suppose ?

Là, tu es sévère. Mais tu détournes rapidement les yeux pour les reposer sur elle. Ouais. Elle. Bon sang, t’aurais mieux fait de continuer à t’ennuyer, mon vieux, parce que cette nana, elle allait te rendre chèvre. Vingt-quatre heures dans la même pièce que cette furie, t’en viendrais presque à espérer avoir été contaminé pour en venir à la bouffer.

▬ Satisfaite ?

Y’avait plutôt intérêt, tiens. Et là-dessus, tu te poses sur le lit en métal qui traîne dans la pièce, t’allongeant pour fixer le plafond. Vingt-quatre heures. Elles allaient être sacrément longues, bon sang.

Kentoc'h Mervel

Theresa & Kelsier

Si on t’avait dit, ce matin, que tu finirais ta journée à l’isolement, pour une raison aussi stupide que celle-ci, en plus, tu aurais probablement ris à gorge déployée. La dernière fois que tu avais mis un pied ici, c’était il y a déjà plusieurs mois. Tu étais rentré blessé à la main, rien de grave, juste une méchante coupure à cause du verre d’une vitre que tu avais cru bon de briser d’un coup de poing. Le garde en poste ce jour-là avait décrété que tu avais très bien pu toucher du sang infecté avec ta main blessée, et même quand tu lui avais expliqué que ça faisait bien plus de quatre heures que tu te trimballais cette plaie, et que ne t’avais pas croisé tant de marcheurs que ça, il n’avait pas voulu changer d’idée. Tu avais ragé, oui. Mais tu avais compris, et tu avais passer tes vingt-quatre heures allongé sur un lit similaire à celui dans lequel tu venais de t’installer.

▬ Tiens donc, que tu marmonnes, au bout d’un moment, une mercenaire au grand cœur, on aura tout vu…

Cette fois, c’est à ton tour d’être un peu amer. Il faut dire qu’elle te mène un peu beaucoup la vie dure cette petite, alors que de ton côté, franchement, tu estimes avoir été plus que correct, et même relativement sympa. Aucune gratitude. Franchement, tout ce qu’elle avait à faire, c’est rentrer, peu importe où elle vivait. Vos routes se seraient séparées, et ça s’arrêtait là. Tu n’avais même pas ajouté de conditions. Rien. Pas un mot concernant tes fringues, non plus. Et il avait fallu qu’elle te fasse un coup pareil …

Tu retournes dans ton silence, les yeux à demi clos, tu l’entends marcher, piétiner dans la cellule avant de finalement s’arrêter. Tu ne réagis pas. Qu’elle fasse sa vie, tu feras la tienne. Mais encore une fois, c’est sans compter sur cette tendance qu’elle semble avoir à vouloir te casser les pieds. Voilà qu’elle se remet à parler, et parce qu’aujourd’hui, c’est étrangement silencieux, te voilà bien obligé de l’écouter.

C’est marrant, comme ses mots ressemblent à des excuses sans qu’elle n’en vienne pourtant à prononcer le mot magique. Ça vient dessiner un sourire léger au coin de tes lèvres, un sourire qui s’efface bien vite lorsqu’elle te confie finalement avoir peur. Ce n’est pas si surprenant, d’habitude, d’entendre ces mots sortir de la bouche de quelqu’un. Tout le monde à peur. Mais venant de cette fille, qui tout à l’heure avait l’air si sûre d’elle, ça te surprend, ça te prend de cours. Et quand elle soupire, tu te mords la lèvre, mais tu restes silencieux encore un long moment.

▬ Rien d’intéressant. Tu réponds quand même à sa question, sans revenir en arrière parce que franchement, Kelsier, tu n’as jamais été bon pour rassurer qui que ce soit, c’est pas ton truc à toi. T’es même pas capable de dire à tes hommes que tout va bien se passer quand ils sont chargés d’un truc dangereux, toi, tu préfères dire que ce sera dangereux, et qu’ils risquent d’y laisser la vie s’ils ne font pas gaffe. C’est la vérité. C’est effrayant, tu le sais, mais ça vaut bien mieux que des mots creux qui pourraient devenir des mensonges. Mon père avait un casino à Vegas. Je me contentais d’être son fils … c’est tout.

C’est si rare quand tu déballes ce genre d’infos Tu n’aimes pas être catalogué. Tu n’as pas envie qu’on s’imagine que t’es qu’un sale gosse de riche pas capable de se mouiller, ou de se salir les mains quand c’est nécessaire.

Tu te redresses finalement, tu te replaces en position assise, probablement pour lui laisser un peu de place, ailleurs que par terre, sur le sol froid et dur.

▬ Je crois qu’ils espèrent tous retrouver une vie normale. Ou plus ou moins normale. Ça se comprends. Du moins, tu pouvais essayer de comprendre. Et toi alors, puisqu’on en est à évoquer le passé, t’étais où ?

Kentoc'h Mervel

Theresa & Kelsier

Rien de normal … Non. Du moins, c’était peut-être « non » dix ans auparavant, maintenant, c’est devenu la normalité pour bien du monde. Pour les gamins qui ont grandis avec. Pour ceux qui naissent entre ces murs et qui ne connaîtront jamais rien d’autre. Douze ans déjà. Toute une génération marquée par la mort, la maladie, le sang et l’horreur. Pour toi, ça n’était pas normal. Pour elle non plus. Pour d’autres, c’était le cas, malheureusement, et toi tu avais pris conscience qu’il n’y avait rien à y faire. Qui étais-tu, après tout, pour retirer ce sentiment d’apaisement que certains s’étaient fabriqué ? De quel droit est-ce que tu pouvais prétendre détenir la vérité ?

▬ J’ai toujours détesté Vegas.

Et pourtant, Vegas était belle. Une ville magnifique, unique, haute en couleur. Tu aurais pu t’y faire, apprendre à l’aimer, mais ton père avait tout gâcher. Lui et sa folie des grandeurs. Lui et son casino, son hôtel, ses voitures, lui et les femmes, ses billets et son mépris du reste. Il avait beau avoir tout, ce vieux dégénéré, il n’avait jamais eu ou presque l’amour de son fils, ça, c’était certain.

A l’écouter, tu vois, tu t’en voudrais presque de dénigrer ta vie d’avant. Pour ceux qui n’avaient rien, ou presque, pour ceux qui vivaient dans la misère avant tout ça, tu devais paraître bien ingrat. Ils étaient nombreux, ceux qui auraient voulu avoir ta place et finalement, quand on y pensait, peut-être que si tu n’avais pas été comme tu es, si tu avais laissé mourir cette fille, ce jour-là, ta famille serait encore là. Franchement, ce n’était pas le genre de choses auxquelles tu aimais penser.

▬ Et bah ça nous fait un point commun, au moins. Les miens non plus n’étaient pas très futés …

Ton père ? Cessons d’en parler. Ta mère ? Un exemple de naïveté et de bêtise. La faiblesse. Le genre de femme qui se laisse mener par le bout du nez, qui accepte tout de la part de son mari à partir du moment où elle a la possibilité de s’offrir ce qu’elle convoite. Dépenser de l’argent, le gaspiller même, pour oublier. Voilà comment elle occupait ces journées … le genre de femme que tu n’aurais jamais supporté avoir à ton bras.

▬ Y’a rien à dire sur moi. Probablement qu’il y avait toujours quelque chose à dire sur quelqu’un, mais, avais-tu réellement envie de parler de toi, là, maintenant ? Non. Evidemment que non. Et puis, ce n’était pas ton genre. Je suis juste un milicien, y’a rien de plus à savoir sur mon compte.

Vous voilà maintenant tous les deux, assis sur cette couchette. Ton dos est contre le mur, ton crâne aussi, et tu lèves à nouveau la tête pour regarder le plafond, comme si ce dernier était la seule chose passionnante du coin.

▬ Tu ne veux toujours pas me dire ce que ton client voulait dehors ? C’est simplement de la curiosité. Tu te demandes ce que les plus aisés peuvent encore désirer, au point de payer pour que d’autres risquent leur vie pour le leur rapporter. Il en manquait des choses dans ce camp. A tout le monde. Pour tout. Mais le concept continuait de t’étonner… encore et toujours. Tu devrais songer à vivre pour toi-même. Et a risquer ta peau pour toi, au lieu de jouer le rôle de la chair à canon qu’on envoi à la mort pour quelques paquets de clopes et un peu l’alcool.

Kentoc'h Mervel

Theresa & Kelsier

T’es toujours en train de fixer ce foutu plafond. Tes réflexions vont, et viennent, s’égarent. Tu penses à des choses auxquelles tu ne penses jamais, normalement. Le passé, entre autres. Tes parents. Ton ancienne vie. Tu te demandes laquelle des deux est la plus pitoyable, celle d’avant, ou celle de maintenant ? Etrange, n’est-ce pas, Kelsier, de se sentir réellement à sa place que dans un monde où tu étais désormais le seul survivant de ta famille, un monde apocalyptique, un monde à sa fin en quelques sortes et à la fois, qui pouvait s’avérer n’être qu’un début.

▬ Rien, justement. S’ils étaient encore là, ce serait probablement le genre à payer des gens comme toi pour des choses insignifiantes.

Tu étais rude, oui. Parce que rien n’était réellement insignifiant. Tout était devenu important, les armes évidemment, la nourriture, les plantes, les vêtements … tout. Juste que tu avais en horreur le haut du panier, depuis toujours, et contrairement à ce qu’on aurait pu penser, le Gouverneur par exemple n’avait pas ton respect. Loin de là.

De l’adrénaline. Subitement, tu as quitté ta contemplation du plafond pour reposer les yeux sur elle. Ce genre de produit était en effet hors de prix, sur le marché, mais surtout, ça faisait parti des choses quasiment introuvables maintenant. Des choses qu’il aurait été utile, voir vital parfois d’avoir au centre médical, par exemple. Ça te file la nausée. Surtout quand tu te dis que si cette marchandise avait été ramenée, elle aurait été mise sur le marché pour une fortune. Un prix difficile à payer. Une somme qui pourtant, aurait fatalement finie par être versée au vendeur peu scrupuleux. Et dire que tout ce qu’il avait à offrir à cette jeune femme en échange de ça, c’était des chaussures et une vieille arme.

▬ Les vendre. Pour environ dix fois ce qu’il t’aura donné pour les obtenir.

Tu secoues la tête. Blasé. Agacé. Mais tu te contiens. Tu n’es pas spécialement en position de faire un scandale. Cependant, tu pourras peut-être songer à mettre ton nez dans tout ça quand tu sortiras d’ici. En attendant, tu mets tout simplement ça de côté.

▬ Je sors. Ne pense pas que je passe mon temps enfermé entre ces murs à me la couler douce.

Tu le savais, que c’était ce que faisait la plupart des miliciens. Ils étaient entretenus, eux, leurs familles. Aucune raison de prendre le moindre risque. Mais tu vois, toi, tu voulais toujours faire plus, alors ça te poussait à filer un coup de main, à droite, à gauche, à aller récupérer quelques trucs, parfois, rarement pour toi, souvent pour les autres.

Tu bouges, un peu, tu étales un peu tes jambes. Moins d’une heure que tu es là seulement, et tu sens déjà que ton corps en a marre, qu’il s’impatiente. C’est toujours compliqué pour toi, de rester immobile, à ne rien faire, surtout quand on songe qu’il y a toujours quelque chose à faire dans ce district, si on prend le temps de chercher, de demander.

▬ Tu as repris des couleurs. Elle te fixe, alors tu la fixes. Et tu te rends compte que le teint blanc, grisâtre qui l’accompagnait jusqu’ici s’est estompé, ses joues ont une légère teinte rosée. Ce n’est pas flagrant, mais tu es assez proche pour le voir. C’est mieux.

Kentoc'h Mervel

Theresa & Kelsier

Elle est horrible, l’histoire qu’elle te raconte. Et c’est pire, de se dire qu’elle a vu ça, de ces yeux, que c’est vrai, vraiment vrai, parce que ce n’est pas juste une histoire sortie de nulle part, non. Cette histoire, c’est la sienne, et le savoir rends les choses réelles, effrayantes, glaçantes. Ah, l’être humain. Quelle créature des plus étrange, n’est-ce pas ? Même quand le monde se mettait à déconner, même quand la vie devenait des plus infernale, il fallait qu’ils continuent, encore et toujours de faire de la merde. De s’entretuer, sans raison valable. Par peur. Par conviction.

Tu pourrais dire que t’es désolé. Avoir un mot dans ce goût-là, parce que, c’est ce qu’on fait, quand on entend ce genre d’histoire, normalement. Mais si tu faisais tout comme tout le monde, ça se saurait. Tu estimes qu’il n’y a pas de bonne réponse à cette histoire, cet aveu. Rien d’autre que le silence que tu préfères garder, faute de mieux.

▬ Non, j’en suis sûr.

Ou presque sûr. Disons que c’était comme ça que les choses fonctionnaient maintenant. L’argent avait disparue, oui, mais pas le concept de richesse puisque même en revenant au troc, certains avaient toujours plus que d’autres. Pour toi, il n’y avait qu’une raison pour que quelqu’un paye aussi « cher » pour obtenir une telle chose, et c’était pour la perspective d’en obtenir encore plus, tout simplement. C’était probablement pour ça que tu essayais de faire attention à ce que tu rapportais, à qui ça allait, mais malgré tes précautions, ça n’empêchait pas certains de revendre ce que tu leur offrais pourtant généreusement. Comme quoi … il n’y avait vraiment plus de limites.

▬ Ça m’arrive, quand le besoin se fait sentir. Pour du carburant, des armes, surtout, et puis des vêtements … La dernière fois, tu étais revenu avec tout un stock de fringues pour enfant. Tu avais tout laissé à la porte du centre médical, histoire que ce soit gardé, distribué. Utile quoi. Sacré Kelsier, fallait toujours que tu joues au pseudo héros anonyme.

Quand la couleur de ses joues s’intensifie, tu comprends que tu vas probablement un peu loin dans tes propos. Tu ne sais pas ce qu’elle a dans la tête, mais étant donné que ton but n’est pas de la gêner, tu finis par te lever, et tu cognes contre la porte, plusieurs fois pour demander quelque chose à manger au garde. Il est tard. Les repas ont déjà été distribués, pourtant rapidement, l’homme revient avec deux beaux morceaux de pain. Ce n’est pas un repas de roi. Mais c’est mieux que rien.

▬ Tiens. Tu reprends ta place, déposant un morceau de main sur ses genoux, en équilibre. Ce n’est pas ta dernière nuit, ne racontes pas n’importe quoi. A moins que tu ais réussi à me cacher quelque chose … tu n’as pas la moindre petite plaie ouverte sur le corps. C’est là que tu te rends compte que tu n’as pas spécialement été délicat avec elle. D’ailleurs, je suis désolé pour ça. C’était juste nécessaire, je ne l’ai pas fais par plaisir.

Kentoc'h Mervel

Theresa & Kelsier

Ce qu’il faut qu’elle en demande ? Tu ne parviens même pas à dissimuler ta surprise, quand elle te pose cette question. Franchement, tu n’en sais rien. Plus cher, sans doute. Mais, ce n’est pas tellement le plus important dans cette histoire.

▬ Commence déjà par essayer de vendre ça à quelqu’un qui en a besoin … Pas juste pour une question de bonne affaire. C’était bête, mais elle pourrait même avoir une surprise quand au prix qu’on lui en donnerait, le besoin avait tendance à faire cracher aux gens ce qu’ils avaient de plus précieux. C’est son doute pour ça que tu ne dis rien de plus à ce sujet. Tu n’as pas réellement envie d’être mêlé à tout ça. Ce sera un bon début.

Lorsque tu lui offre son morceau de pain, tu l’impression de lui avoir servi un repas digne d’un restaurant, tant elle mord dedans avec avidité. Ce n’est pourtant qu’une miche de pain qui est restée posée sur une table. Elle a séché. Même la mie à cette odeur caractéristique. Mais elle, elle la dévore. Sans doute parce que sa faim était bien réelle …

▬ T’as pas mangé depuis combien de temps, au juste ?

Tu as de la chance, Kelsier. Parce que la milice est entretenue. C’est bête, mais c’est comme ça, et ça pousse bien des hommes, et des femmes, à s’enrôler dans cette dernière juste pour profiter du confort d’un toit à la caserne, d’une douche régulière, et surtout, d’au moins un repas par jour assuré. Tu agites la tête, probablement dépité en constatant que la famine s’était installée, mais aussi, qu’elle était réelle. Plus facile de l’entendre dire partout, que de le constater de ses propres yeux n’est-ce pas ? Alors, avant de mordre dans ton pain, tu en arraches la moitié que tu viens déposer près d’elle. De toute façon, tu n’as pas si faim.

▬ … Doux ? Étrange. Mais toi, de ton côté, tu n’avais pas eu l’impression d’être si doux. La douceur n’avait jamais été ton fort. Mais au delà d’une certaine délicatesse, tu avais plutôt eu l’impression d’être relativement brut. Ça te fais te poser des questions sur la façon de faire des autres, tout à coup. Ne me remercie pas, je fais juste mon travail. Tiens, encore une phrase typique de vieux héros à la noix. Et puis ça se saurait si tu étais infectée, tu serais déjà malade, et tu n’aurais pas tant d’appétit. Crois moi.

Parce que oui, évidemment que t’en avais déjà vu des infectés, de vrais infectés à qui il ne restait plus qu’une, deux, trois heures à vivre. Un teint gris. De tremblements. De la fièvre. Ce n’était jamais la grande forme, et généralement, l’infection ne laissait aucun doute possible. La seule raison pour laquelle ces gens n’étaient pas abattus directement, c’était pour leur donner une petite chance mais toi, tu avais toujours penser que les enfermer pour les laisser se transformer représentait plutôt une forme de torture.

▬ Mais rassure toi, si je constates que tu as été infectée, tu seras morte avant devenir l’une de ces choses sans âme. C’est ce que je voudrais, moi. Et c’était probablement devenu ta plus grande peur : devenir un infecté errant dévorant ceux qui jadis étaient ses semblables.