Kentoc'h Mervel - ft Kelsier [TERMINE]

Kentoc'h Mervel

Theresa & Kelsier

N’était-il pas étrange de constater qu’au final, il était encore possible, en ce monde devenu pour le moins apocalyptique, de continuer à passer des « journées tranquilles » ? Tu détestais ça. C’était un fait, Kelsier, pour vivre, tu avais besoin d’action, et lorsqu’il ne se passait rien, tu avais tendance à t’ennuyer. T’ennuyer te rendait de mauvaise humeur. Plus que d’ordinaire. Pourtant ça n’avait pas été faute de faire des efforts pour trouver des choses à faire. En vain. Tout ici, était calme et plat. Aucune barricade endommagée. Aucun civil en rébellion. Pas la moindre réclamation. Rien. Absolument rien. Si bien que finalement, tu avais fini par prendre place à un poste de garde, sur un tabouret, dans un coin, les pieds posés sur une caisse … et franchement, tu ne comptais même plus le nombre de fois où tu t’étais surpris à bailler, jusqu’à ce ces cris se fassent entendre et te fassent enfin réagir.

De là où tu étais, tu n’entendais rien de particulièrement clair. Simplement des éclats de voix, des voix qui usaient d’un ton qui avait été capable de te faire te lever, sortir de ton état presque végétatif pour monter l’échelle et rejoindre le haut de la porte. Là, tu jettes un œil vers l’extérieur, observant un instant, sans un mot, sans intervenir, cette jeune femme. Et tu écoutes ses échanges avec les miliciens qui n’en démordent pas, évidemment, ils ont des ordres. Chacun ici connait les risques. Personne ne se risquerait à faire entrer de potentiels infectés si facilement, pas juste parce qu’elle le demande, et peu importe la dose de conviction que cette femme y mettait.

Les minutes passent, un sourire s’est installé sur tes lèvres. Et puis, il s’efface lorsque ces marcheurs apparaissent dans ton champ de vision, et tes yeux ambrés glissent à nouveau sur la blonde. Elle a du courage. Ou alors est-ce plutôt de la témérité … Tu n’en sais rien. Toujours est-il que c’est le moment que tu choisis pour intervenir, enfin. Bras croisé, tu viens appuyer ton épaule contre un pilier.

▬ Ils sont six. Est-ce si insurmontable pour toi ? Tu en doutes. Sa posture, ses armes, son attitude, tout en elle suggère qu’elle n’en est pas à sa première sortie, d’ailleurs, tu sais pertinemment que ce n’est pas le cas. Tu le sens. Débarrasse-toi d’eux, et je pourrais peut-être reconsidérer ta … requête.

Si tu comptais réellement la faire entrer ? Peut-être. Tu n’étais pas du genre à laisser des êtres humains mourir sous tes yeux sans bouger le petit doigt. Cependant, il était de notoriété publique que tu n’étais pas du genre à faire preuve de bonté d’âme si facilement. Et puis. Il fallait bien repousser ces infectés pour pouvoir ouvrir cette porte, non ?

Kentoc'h Mervel

Theresa & Kelsier

Ça a probablement l’air de t’amuser. Sans doute qu’autour de toi, tes hommes, toutes les personnes qui observent la scène, prennent tes réactions et tes demandes pour un jeu. Mais encore une fois, ce serait mal te connaître de penser que tu sais te permettre de jouer avec des vies humaines. Derrière chacune de tes décisions, se cachent en réalité de bonnes raisons, et surtout, une réflexion. Dans la milice, tu as su acquérir une place stratégique. De celles qui te permettent désormais d’avoir du poids au sein de ce district. Jamais tu ne jouerais avec ça. Jamais tu ne prendrais le risque de perdre ça, même si on le sait, tu as cette tendance à jouer avec le feu, et cette habitude de manquer de respect à chacun de tes supérieurs à partir du moment où toi, tu estimes que ce sont des crétins. Et franchement, des crétins, il y en a pas mal dans la milice.

Toujours appuyé contre ton pilier, tu restes neutre. Elle est marrante, cette petite, mais tu ne souris pas. Tu te contentes de l’observer, de la jauger. Ses réactions sont prévisibles, mais ce n’est pas si grave, n’est-ce pas ? Elle reste une humaine qui fait face à la mort. Sa colère envers le système qui lui refuse un peu d’aide est justifiée, tu aurais fait pareil.

▬ J’ai hâte de voir ça ! Que tu lances, en réponse à sa menace.

Et puis la voilà partie. Et en l’observant se battre, tu déplores rapidement de ne pas avoir un tel élément sous ton commandement, ou même en soutien. Contrairement à bien des hommes que tu pouvais côtoyer au quotidien, cette jeune femme, peu importe qui elle était, méritait amplement, à ton sens, une place parmi les plus grands. Elle était capable de se battre, et franchement, ce n’était pas le cas de tout le monde. Tu le savais, parce que sous tes ordres, tu avais parfois de simples ouvriers, des hommes qui aurait probablement été plus à leur aise dans un champ mais qui désiraient être utiles. Ça, tu ne pouvais pas le leur enlever. N’empêche que tu n’avais actuellement plus les moyens de former qui que ce soit. Restrictions oblige.

Un soupire s’échappe d’entre tes lèvres. Finalement, la voilà en difficulté … Ou presque. Tu es presque certain qu’elle finira par se débarrasser de cette montagne de charogne, ce qui est moins sûr, c’est qu’elle y parvienne avant que l’homme blessé, au sol, ne finisse par se faire dévorer. D’un pas nonchalant, tu quittes ton pilier, tu attrapes sèchement la carabine de l’un des gardes et puis, sans un mot, tu sautes à l’extérieur des barricades, ralentissant ta chute avec une chaîne que tu entoures autour de ton poignet. Heureusement, les murs ici ne sont pas particulièrement hauts. Quelques mètres, tout au plus, en somme, rien d’insurmontable pour toi. Une fois au sol, ta première balle vient atteindre l’un des marcheurs en pleine tête, tu frappes le suivant d’un coup de crosse pour le faire basculer au sol et puis, tu viens coller ton canon sur sa tempe pour y envoyer une seconde balle.

▬ Vous êtes dans un état pitoyable.

Ton regard s’est reposé sur elle, mais il dévie bien vite et d’un geste, tu ordonnes l’ouverture de la porte aux gardes, là-haut. Tu remarques bien qu’ils hésitent, encore une fois, c’est normal.

▬ J’en prendrais la responsabilité, dépêchez-vous, maintenant. Aucune menace, ou agressivité dans tes mots, cependant, tu es froid et déterminé et ça suffit pour que la porte s’ouvre, te permettant de retourner à l’intérieur. N’oubliez pas vos … affaires. Et tout en disant ça, tu désignes l’homme, par terre, recroquevillé sur lui-même, en train de chouiner. Et tâchez de ne pas vous éloigner … vous êtes couverte de sang infecté.

Kentoc'h Mervel

Theresa & Kelsier

T’es rentré. Tu fais même plus attention à ce qui se passe derrière toi, t’as pas franchement envie de ramasser cette carpette en larmes, tu préfères laisser cette tâche à celle qui visiblement, avait dû le supporter jusqu’ici. Pourtant, à peine es-tu de retour dans la cour, alors qu’autour, tout le monde s’affole et s’affaire pour récupérer les deux revenants, tu entends ce bruit tout à fait caractéristique d’une chute. Et dire qu’à peine dix secondes auparavant, elle était là, à pavaner, à t’envoyer tes quatre vérités, ou du moins, ce qu’elle pensait être des vérités à ton sujet. Le pire, c’est de constater que personne ne bouge pour aller en récupérer ne serait-ce qu’un des deux, et quand tu te retournes complètement, c’est pour constater que l’homme lui, est occupé à ramper pitoyablement, en criant, en appelant à l’aide.

Tu fais demi-tour. Tu lui passes à côté sans un mot, et c’est elle que tu vas récupérer. Tu viens d’agenouiller à côté d’elle, et pendant un instant, tu te dis que cette fille n’a aucune manière. Encore pire que toi, tiens. Contrairement à d’autres, elle n’a pas eu la moindre gêne en ôtant ce haut trempé de sang mal odorant. Est-ce que tu as pitié ? Non. Pas le moins du monde. Et ce n’est pas de la pitié non plus qui te pousses à retirer ta chemise – bien propre, oui – pour la poser sur elle avant de la retourner, avec toute la délicatesse dont tu es capable pour finalement la soulever et te redresser.

▬ Récupérez-moi ça, qu’on puisse refermer cette porte, et que ça saute, qu’est-ce vous attendez ? D’autres marcheurs ?

Il suffit de tes mots pour que l’homme soit récupéré, et emmené. Il est blessé, la procédure est simple, il va devoir être examiné, soigné s’il peut l’être, et placé à l’isolement pendant une bonne journée afin d’être sûr qu’il ne contracte pas l’infection. Et alors que la porte se ferme enfin derrière toi, voilà qu’un homme vient te proposer d’emmener cette fille, afin qu’elle subisse le même traitement, probablement.

▬ Je vais m’en occuper moi-même.

Sans rien ajouter de plus, tu t’avances pour rejoindre le bâtiment adjacent, sans t’arrêter, sans prendre le temps de t’adresser à qui que ce soit, tu entres simplement dans l’une des salles, celles qui servent pour les interrogatoires de ceux qui reviennent, généralement. Elle est vide, à l’exception d’une table, et de deux chaises, alors, tu la déposes sur la table, réajustant même la chemise pour la couvrir avant de détourner les yeux, de reculer une chaise et t’y asseoir.

▬ Je suppose qu’il est inutile de vous demander si vous avez été mordue. Tu parierais que non. La procédure voudrait que je vérifie … je préférerais franchement que vous me répondiez franchement et sans faire d’histoire.

Kentoc'h Mervel

Theresa & Kelsier

T’as encore soupiré. Toi qui t’ennuyais encore tout à l’heure, tout ça à désormais tendance à te faire chier plus qu’autre chose. T’aurais peut-être dû la laisser se faire embarquer avec l’autre, mais non, faut toujours que tu n’en fasses qu’à ta tête. Tout ça parce qu’en la voyant se battre, tu t’es dit que cette fille ne méritait tout simplement pas d’être traitée comme un chien. Ce n’est pas vraiment un traitement de faveur, comme elle semble le penser, c’est ce que tu estimes être le mieux, parce qu’elle ne doit pas se faire d’illusions, si tu avais eu le moindre doute quand a une morsure, tu l’aurais collée au trou sans la moindre petite hésitation.

Pourtant, fidèle à toi-même, tu ne te défends de rien. C’est toujours comme ça avec toi, on pourrait t’accuser de tout, tu laisses toujours les gens dire ce qu’ils ont envie de dire, et plutôt que de faire de longs discours, de t’époumoner de façon souvent aussi fatigante qu’inutile, tu préfères prouver de par tes actes que ces gens ont tort. La chute n’en est toujours que plus douloureuse pour eux, et c’est toujours une leçon bonne à prendre. Tu en feras de même avec elle.

▬ Où êtes-vous allés, tous les deux ? Tu continues de la fixer, elle s’est redressée, mais elle est toujours assez pâle pour que tu le remarques malgré la couche de crasse qui recouvre sa peau. Elle en est à se débattre avec ses vêtements, lorsqu’enfin, tu consens à te lever et à t’approcher. Croyez-moi, à l’heure actuelle, cette journée parait sans doute plus infernale que jamais pour votre acolyte.

Malheureusement pour lui, tu savais bien que les personnes qui s’occupaient des isolements étaient tout sauf délicats. La douche n’en était pas vraiment une, tout juste un passage sous un jet d’eau froide. Les médecins étaient probablement les plus doux, mais ils ne s’attardaient jamais vraiment, certains avaient tendance à considérer que ceux qui rentraient blessés était forcément condamnés. Et puis, l’isolement en lui-même n’était pas une partie de plaisir. Le bunker n’avait rien d’une promenade de santé …

Avisant ta chemise, désormais tâchée et souillée de sang noir, tes mains viennent finalement agripper le tissu sale du pantalon de la rousse, et tu tires dessus franchement afin de l’en débarrasser, le laissant ensuite retomber sur le sol tandis que tes yeux parcourent sa peau, son corps entier. Contrairement à ce que certains pourraient penser en te voyant, ainsi, tu n’es pas en train de rincer l’œil, mais bel et bien de faire ton travail en tentant tout de même de repérer la moindre goutte de sang qui pourrait lui appartenir. D’ailleurs, pour aller jusqu’au bout, tu finis par attraper sa main pour tirer dessus d’un coup sec et la faire descendre de la table, tes doigts s’accrochent ensuite à ses hanches tandis que tu passes dans son dos pour continuer ton inspection rapide.

▬ Kelsier. Vous m’aviez demandé mon nom, non ?

Avec précaution, tu la relâches, essuyant tes mains pleines du sang sombre qui s’est transféré de sa peau à la tienne.

▬ Finalement, je ne serais pas resté si aussi propre que ça, aujourd’hui. Tu reprends alors ta place, sur ta chaise, les bras croisés sur ton torse dénudé. Alors. Qu’est-ce que vous êtes allés chercher ?

Kentoc'h Mervel

Theresa & Kelsier

Tu insistes, oui. Simplement parce que ça fait parti de ton travail de savoir où vont ceux qui passent cette porte, et surtout, avec quoi ils reviennent. Tu sais que certains miliciens se permettent des saisies qui n’en sont pas. Des vols. Tu n’approuves pas, évidemment, du moment que ce n’est pas dangereux, que ça ne représente aucun risque, tu as tendance à laisser aux plus téméraires ce qu’ils rapportent de l’extérieur. Chacun sa façon de prendre les choses et d’aborder sa survie, après tout.

▬ Simple contrôle. La routine, vous devriez y être habituée, non ?

Et encore un soupire. Tu passes une main sur ton front, tandis qu’un léger sourire fait son apparition. L’embrocheur. C’était risible quand on y pensait, cette manie qu’avait les gens d’affubler certains combattants de tels … surnoms. Tu avais les surnoms en horreur.

▬ Comment est-ce que … le peuple vous appelle ? Je suis curieux de le savoir.

Probablement rien d’original, aux vues de celui qu’ils t’avaient donné, à toi. Mais étrangement, après l’avoir examinée, après avoir vu les nombreuses marques qui parsemaient son corps, tu étais persuadée que cette jeune rousse n’en était pas à son coup d’essai. Non. Les sorties hors de ces barricades devaient être récurrentes, voir habituelles. Pour certains habitants, les plus fous, c’était même carrément quotidien d’aller se frotter aux infectés, de prendre le risque de ne plus jamais revenir.

▬ Vous êtes l’un de ces mercenaires. Je me trompe ?

Ces gens qui préféraient faire affaire dans leur coin, mettre leurs capacités à leur propre service, ou tout simplement au service du plus offrant qu’au service du plus grand nombre. Tu aurais pu le devenir, si la Milice et ses dirigeants n’avaient pas été convaincants avec toi. Et si tu n’avais pas cette ridicule tendance à donner de ta personne pour des gens que tu ne connaissais même pas.

▬ On dirait que votre client du jour va être déçu.

Et de nouveau, tu quittes la chaise, du coup de pied, tu la renvoies approximativement à sa place, avant de poser ta main sur la poignée de la porte, pour te retourner de nouveau.

▬ Est-ce qu’au moins vous pouvez marcher ? J’ai besoin d’une douche, l’odeur de la mort m’insupporte. Je suppose que vous ne serez pas contre vous en débarrasser non plus.

Kentoc'h Mervel

Theresa & Kelsier

T’as ricané. Ouais, t’as pas vraiment pu t’en empêcher en entendant son surnom à elle. Pourtant, du peu que tu en as vu, ça lui va plutôt bien. Il n’empêche que tu continues de trouver ces appellations complètement ridicules. Tu t’abstiens cependant de tout commentaire supplémentaire, pour toi, ce sera tout simplement Theresa, et dans votre intérêt à tous les deux, tu espères vraiment qu’elle se contentera de Kelsier.

▬ Enchérir ? Ce n’est pas mon genre.

Tu préférais généralement te procurer par toi-même ce dont tu avais besoin. Lorsque le besoin de quelque chose se faisait sentir, il t’arrivait effectivement de quitter les barricades, tu n’avais jamais vraiment eu peur de l’extérieur et surtout, tu n’étais pas de ceux qui préféraient rester enfermés, au contraire. Revoir ce qui se trouvait en dehors du district avait tendance à te faire du bien, même si les paysages sur lesquels la nature avait largement commencé à reprendre ses droits étaient bien souvent gâchés par la vue des créatures qu’étaient devenues la plupart des êtres humains du coin.

Te revoilà donc debout, et ta main actionne la poignée de la porte. Tu fais quelques pas pour t’extirper de la pièce, avançant un peu dans le couloir avant de t’arrêter à nouveau. Tu observes l’état de la salle d’interrogatoire. La table est pleine de sang noir. Le sol n’est pas non plus en bon état, mais tu ne t’en fais pas …malgré l’hygiène qui laissait à désirer par endroit dans le District, ici, on s’assurait toujours de se débarrasser du sang qui traînait le plus vite possible.

Elle vient finalement s’appuyer sur toi, s’accrochant à ton bras, elle laisse reposer une bonne partie de son poids sur toi, et tu ne dis rien. Tu te contentes de marcher, d’avancer, de supporter, parce qu’après tout, à côté d’elle, t’es en forme. Tu restes silencieux. A vrai dire, tu te contentes de regarder droit devant toi, tu sais où tu vas, t’es juste en train de te dire que t’espères que l’eau sera au moins tiède. Les générateurs avaient commencé à faiblir, depuis quelques jours, à tel point que tu songeais carrément à prendre le temps d’aller toi-même chercher du carburant, ou une solution alternative.

▬ Je n’en sais rien. C’est peut-être con, mais tu vouvoies toujours les gens, par habitude, comme si les convenances avaient encore leur place en ce monde. On peut arrêter, si tu préfères.

Et puis, tu t’arrêtes, et tu pousses une autre porte. Celle du vestiaire du poste de garde. Tu bossais tellement régulièrement ici, que tu avais même un casier, alors tu attrapes ta clé, attaché à une chaîne autour de ton cou, et tu attrapes les deux serviettes qui se trouvent à l’intérieur.

▬ J’espère que tu tiens debout. Je ne suis pas certain de vouloir m’occuper de te laver … Et tu poses la serviette, dans un coin. Vas-y. J’irais après toi.

Kentoc'h Mervel

Theresa & Kelsier

C’est un discours qui se tiens, même si tu ne le lui diras pas, et que tu ne lui donneras pas non plus franchement raison. Le respect avait toujours été quelque chose de surfait, et des très inégal, même avant que cette maladie ne débarque pour venir chambouler la terre entière. Tu n’avais que seize ans lorsque c’est arrivé, mais tu avais des souvenirs encore très vifs de ce passé qui aujourd’hui paraissait pourtant atrocement lointain. Tu te souvenais surtout de cette manie qu’avait ton père de vouvoyer ses clients les plus prestigieux, toutes les personnes susceptibles de lui rapporter quelque chose … et puis, tu l’avais entendu tutoyer un pauvre sans abri, pour l’insulter, le frapper, sans prendre la peine de lui offrir un petit billet. Des billets qu’il avait par centaines, par milliers, dans le coffre de son casino.

Et puis, elle reste plantée là, pratiquement nue, ta chemise au sol, à te fixer, avant de décocher quelques mots pour finalement s’éloigner. Et toi, tu secoues simplement la tête, dans ton incompréhension.

▬ Milicien ou pas, qu’est-ce que ça change ? Est-ce que c’est à son « boulot » que tu juges de la valeur d’un homme ?

Ça te dépasse, ouais. Même un pauvre paysan était capable de grande chose, si tant est qu’on lui donnait les moyens de faire ses preuves, et sa chance d’y arriver. C’était devenu compliqué, certes, maintenant, presque tout était question de vie ou de mort, pourtant, c’était par les actes que tu jugeais les autres.

Ton dos appuyé contre la rangée de casier, tu patientes pendant qu’elle prend sa douche. Aux jurons que tu peux entendre, l’eau est froide, probablement glaciale même. Peu étonnant, finalement à cette heure de la journée, le vieux ballon d’eau chaude ne fonctionnait que de nuit, et il était très insuffisant pour assurer les douches de tout le monde.

▬ C’est le cas. Parfois. Visiblement, ce n’est vraiment pas ton jour.

Tu te décolles de la paroi en fer, et à ton tour, tu te diriges vers la douche, ralentissant un peu avant d’entrer dans la cabine, tu fronces les sourcils dans ta réflexion.

▬ Vérifie mon casier. Je dois avoir des vêtements de rechange.

Elle t’aura chipé tes deux chemises. Mais peu importe, ta veste suffirait. Tu te débarrasses rapidement de tes fringues, et puis à ton tour, tu passes sous l’eau froide. Une douche rapide, juste de quoi te débarrasser de cette odeur infâme qui te colle à la peau depuis que tu as porté la rousse jusqu’à cette table. Le pire, c’est que quand tu ressors de là … t’as toujours l’impression désagréable qu’elle est toujours là, moins, mais là quand même.

Tu prends le temps de remettre le bas, et puis, tu reviens, tu te poses sur un banc, passant ta main dans tes cheveux humides.

▬ C’est quoi l’histoire avec la milice ? Demandes-tu, presque subitement, en te redressant légèrement, frissonnant par la même occasion. Tu as l’air d’avoir une bien basse opinion des forces de l’ordre de ce camp. Pourquoi ?