❧ Nulle cause n'est perdue s'il y a encore un pauvre fou prêt à se battre pour elle

Tu es née dans le Bronx, d’un père flic et d’une mère dépressive. Dernière née d’une fratrie comptant déjà quatre garçons. Quatre petits caïds malgré tous les efforts de ton père pour les mettre dans le droit chemin. Les quartiers mal famés, la misère, les coups de feu le soir, les bagarres. Ce sont des choses qui t’ont accompagnées durant toute ton enfance. La violence, tu la connais. Toujours malmenée par tes frangins. Toujours à la traine. Tu les as vu partir l’un après l’autre dans les gangs, dealer de la drogue et autres produits illicites. Et alors que ton père semblait avoir jeté l’éponge avec ses garçons, il s’accrochait désespérément à toi. Mettant tous ses efforts, tout son amour pour préserver le petit ange, la petite fille innocente que tu étais. Il avait manqué à ses devoirs avec ses quatre bonhommes, n’ayant jamais été là pour eux, faisant des heures supplémentaires pour essayer d’amener toujours plus d’argent à la maison. Il ne louperait pas l’éducation de sa fille. Alors il faisait tout pour toi. Tout pour que tu t’épanouisses. A t’envoyer à des cours de dessin. A t’envoyer à des cours de guitare, de piano, de danse et de chant. Rien n’était trop beau pour toi malgré le peu de revenu qu’il apportait. Malgré toutes les bouches à nourrir, et malgré la santé de ta mère qui laissait plus qu’à désirer…

Et tu as grandi. Dans deux mondes totalement paradoxaux. La misère, la pauvreté, la saleté du Bronx, tu les laissais derrière toi lorsque tu entrais dans l’environnement plus chic, plus classe des salles de danse et des auditoriums. Enfin, tu essayais. Rien ne pouvait masquer aux autres tes origines. Tes vêtements fatigués, usés. Tes petites baskets sales. Même si ton père faisait au mieux, il ne pouvait pas accomplir de miracle. Et les enfants sont parfois si méchants entre eux… Sitôt les cours terminés, dans les vestiaires, tous s’amusaient à te rabaisser et à te faire de mauvaises plaisanteries. Étant calme et douce de base, tu n’avais jamais réussi à te rebiffer jusqu’à présent. Mais un jour, fatiguée des remarques des enfants, des brimades de tes frères, et des mauvaises blagues, tu finis par flanquer un coup de poing dans le nez d’une des filles. Coup de poing qui fut salué d’un grand éclat de rire par un grand blond qui assistait à la scène depuis l’entrée de la pièce. « Eh bien le petit rat de l’opéra cache en réalité une sacré tigresse… » Un rapide coup d’oeil sévère dans sa direction lui annonça que s’il continuait de se moquer de toi, ça ne serait pas son pif que tu viserais mais plutôt ses noix. Nullement impressionné, il te salua d’un sourire. « Ne te laisse surtout pas marcher dessus. »  

« Esquive. Esquive. Frappe. Gauche. Droite. Esquive. » Tu inspires. Expires profondément. La tête vidée de toute émotion, tu fixes le blondinet qui se dresse devant toi. Sourire aux lèvres, il agite une main gantée. « Alors petit rat… On abandonne le combat? » Tu fronces les sourcils. « Arrêtes tu sais que je déteste ce surnom. » Il lance un bref rire avant d’esquiver de nouveau ton poing. Tu te remets en position de défense, rejetant tes longs cheveux noirs en arrière. La sueur coule le long de ton dos, conséquence de ton entrainement intensif. Les barres de danse ont depuis bien longtemps laissées place au ring. Depuis que tu as cassé le nez - et les dents - de cette pauvre fille. Depuis ta rencontre avec ce garçon. Casey. Contre l’avis de ton père qui voulait garder son petit ange. Mais lorsqu’il a fini par se rendre compte que cela te donnait du caractère et que cela te permettait de te défendre face à tes frères… Il avait bien vite baissé les armes. Tu balances ton poings. Il esquive. Un coup de pied, un enchainement de coups. Il ne bouge pas d’un poil tandis que tu te remémores les premiers instants passés avec lui. « Je peux t’apprendre à être plus forte. » Tu l’avais regardé, le visage buté. « Je ne suis pas faible. » Il avait levé les yeux au ciel. « Tu te laisses marcher dessus. Tu les laisses se moquer de toi, te rabaisser, te faire des blagues ignobles... » Tu l’avais fixé droit dans les yeux. « C’est être faible que de supporter toutes ses bêtises sans broncher? Ça ne m’atteint pas. Être forte ne passe pas forcément par la violence. » Une lueur amusée était passée dans son regard. « Non… Mais apprendre à te battre te permettra de ne pas te blesser si tu veux de nouveau péter le nez d’une gosse de riche… » Il avait prit ta main avant de t’emmener à l’infirmerie pour la passer sous l’eau. « Je m’appelle Casey. Mon père croit que je suis ici pour la danse mais je fais de la boxe et de l’escrime. Si un jour tu changes d’avis, tu sais où me trouver… » Et tu l’avais retrouvé. Moins de trois mois après tu étais déjà à ses côtés. La mort de ta mère, qui s’était suicidée après des années de dépression semblait avoir cassée quelque chose en ton père, et en toi. Apprendre à te défendre, et, par la même occasion, forger ton caractère, étaient des buts que tu t’étais fixés.  

15 ans. Tu avais 15 ans quand l’épidémie a commencé à se propager. 15 ans et des rêves plein la tête. 15 ans et tellement de choses à découvrir, le monde à parcourir. Tout ce en quoi tu croyais, tout ce à quoi tu avais réfléchi… Ton monde entier s’écroulait. Tout s’était passé tellement vite. Menteuse. Oui c’était cela. Tu mentais comme tu respirais. Depuis la mort de ta mère. Tout n'était que façade. Tout n'était qu'illusion. Ce personnage que tu jouais, cette… fille forte et fière que tu es n'était qu'une carapace. Une carapace pour t’isoler des autres. Une carapace pour éviter d’avoir à souffrir. Encore. Lorsque l’épidémie avait commencé à se répandre tu étais déjà pratiquement seule. Tu ne pouvais en aucun cas compter sur tes frères. Et ton père… Ton pauvre père. Tu n’avais aucune idée d’où il était. Parti en formation dans tu ne sais quel État… De lui ne te restait qu’un mot, qu’un message vocal sur ton portable te sommant de partir. De te mettre à l’abri le plus vite possible. De ne pas t’occuper de lui… Et là Casey avait débarqué chez toi, complètement paniqué. Tu l’avais suivi. Lui. Le seul à ne pas t’avoir abandonnée. Le seul à avoir toujours été là pour toi. Le seul qui t’insufflait de l’espoir, qui te connaissait. Qui cherchait à retrouver en toi le petit ange que tu avais été, la petite fille souriante qu’il avait connue. Et ce jour là, il n’avait qu’un seul mot à la bouche « Hope City »

Tu ne sais par quels miracles vous avez réussi à vous rendre là bas. Le monde était sans dessus dessous. Des cris, du sang, de la violence partout. Et ces marcheurs… Ces marcheurs qui hantaient tes cauchemars. Ces marcheurs qui vous faisaient faire des nuits blanches, qui vous avaient appris à vous battre, à vous fondre dans la nature. Qui avaient fait de vous des survivants. A 15 ans, ce n’était pas la vie rêvée, loin de là. Et pourtant c’était une obligation. Tu ne voulais pas mourir. La vie t’avait déjà éprouvée, la vie t’en avait déjà fait bavée, mais il était hors de question que tu baisses les bras. Avec Casey à tes côtés de trois ans ton ainé, tu te sentais protégée. Et tu étais prête à tout pour survivre...

Hope City. Espoir oui. Espoir d’un endroit où vivre en paix. Quatre districts. Ou plutôt quatre prisons. Enfermée derrière de hautes barricades que tu avais toi même aidé à construire dès ton arrivée, elles t’étaient bien vite devenues insupportable. La vie était dure dans le petit district. Il fallait sans cesse s'occuper. Sans cesse trimer et vaquer à ses occupations. Certes la vie n'était pas impossible non plus, mais elle y était dure. Peu de culture. Il y était compliqué de manger à sa faim…  « Je vais entrer dans la milice et sortir hors des murs pour aider. » Le ton est plat tandis que Casey pose un morceau de pain et de fromage devant toi, maigre repas pour le soir. « Je te suis. » « Non. » Claquement de la vaisselle sur la table. Le ton est brusque. « C’est hors de question. » Tu plisses les yeux. « Je ne te laisserai pas sortir hors de ces murs sans couvrir tes arrières. » Il pousse un lourd soupir. « Eden… » Tu repousses ton quignon de pain et croise les bras. La discussion est close pour toi. Tu le vois esquisser un sourire du coin de l’oeil, mais il reprend bien vite contenance. « Je ne veux pas avoir à me faire du soucis pour toi. Si tu sors… Je ne pourrais pas toujours t’avoir à l’oeil. Et m’inquiéter pour toi augmente le risque de me faire tuer… » Tu t’apprêtes à lui couper la parole mais il continue. « Si je sors… C’est pour t’assurer une vie plus confortable. C’est pour pouvoir t’apporter un peu plus qu’un quignon de pain le soir. On a tous les deux vécus dans la peur le temps d’arriver ici… » Il s’approche de toi et se met à genoux, prenant tes mains dans les siennes. « Je sais que tu es forte. Je sais que tu es agile, que tu sais te battre. Je sais à quelles horreurs tu as fait face puisque j’étais à tes côtés.. Mais je ne souhaite pas te voir à nouveau dehors, au milieu de ces morts vivants… S’il te plait. Laisse moi m’occuper de toi comme je l’ai toujours fait. Je veux te voir sourire. Je veux te voir rire. Je veux que tu m’accueilles le soir en dansant, en chantant, je veux que tu apportes la joie que tu as toujours apportée dans ma vie. Et je ne veux pas que les morts, le sang, la violence de dehors te changent… » Tu lèves le regard vers lui, méditant le sens de ses paroles. « … D’accord. Mais à la moindre petite blessure je sors des murs pour te coller au train ! »

Le nez dans le cou de Casey, tu respires avec plaisir son odeur musqué, à laquelle se mêle la sueur, la saleté et le sang. Tu as l'habitude de cette odeur, mais ton nez se fronce toujours sous l'odeur acre et rouillé de ce liquide rouge. Tu détaches la tête de son épaule pour le regarder en face « C'était comment dehors cette fois? »  Il reste silencieux quelques minutes, l'un de ses bras puissant te tenant fermement contre lui. « C'était magnifique Eden, comme toujours. Un tel sentiment de liberté... »  Mais son regard est un peu vide. Ton sourire s'éteint. « Qui est mort aujourd’hui? »  Le milicien s'arrête et prend soin de prendre son temps. « Je ne répondrais pas. " Tu fais la moue mais acquiesces. Tu sais qu'il n’aime pas parler de ça, il veut te protéger. Mais tu n'aimes pas le voir dans cet état. Et tu te colles contre son torse, lui apportant de la chaleur. Il t’embrasse sur le front. « Je n’aime pas être inutile… » Les mots sortent seuls de ta bouche. Casey soupire, ses mains qui étaient passées sous ton t-shirt et se promenaient sur ton ventre retrouvent place sur tes genoux. « Eden… On en a déjà parlé. » Tu t’agites comme une fillette. « Je sais mais… Je ne supporte plus de travailler aux champs, à me demander toute la journée si tu rentreras le soir… Je veux faire de ma vie quelque chose. » Il te repose sur le lit. « Mais tu fais déjà quelque chose. Tu ramènes… » Tu la coupes. « A manger? » Tu ricanes. « Si je reste entre ces murs je vais finir par devenir folle… Je me sens… Comme dans une cage. Partout où je regarde ce n’est plus que des barricades, des maisons ternes et sales, des visages lugubres. J’ai besoin de voir des étendues, des plaines, de la verdure… » Ta voix s’éteint soudain. « Eden… Dehors… Ça ne t’apporterait pas ce que tu cherches. Le virus à tout décimé… Le monde qu’on connaissait n’est plus. Tu serais déçue… Et en danger. Le danger est n’importe où. Tant que je serai là. Je ne te laisserai pas partir. » Il ne te laisse pas le temps de répondre. Il s’approche de toi et te couche sur le lit, t’embrassant à pleine bouche. « Je n’ai pas envie de me disputer avec toi. Demain je repars et je déteste partir sur une embrouille. Je veux vivre chaque jour avec toi comme si c’était le dernier… Oublie ta fierté. Tu sers ici dans ce district. Tu es importante pour lui. Et tu es importante pour moi. »

Les années ont passées. Tu es désormais entrée dans la milice. Pourquoi? Le lendemain de sa déclaration… Casey n’était plus. Un des marcheurs l’avaient mordu. Il n’était pas immunisé. Tu ne sais pas ce qu’il était advenu de lui. Tu romps ta promesse mais… Tu ne supportais pas. Tu ne supportais plus de… survivre et non vivre. Rester entre ces murs allait finir par te rendre dingue.Tu ne désirais pas rester enfermée toute ta vie, comme un oiseau dans une cage. C'était hors de question. Tu voulais te battre pour l'humanité. Quitte à y laisser ta peau. Rien ne t'énervais plus que de voir ces mous du genoux de villageois se plaindre et traiter les soldats de moins que rien alors qu'ils restaient à l'abri des murs sans rien faire. Alors tu avais décidé de reprendre ta vie en main. Sans doute aurais-tu dû tenir tête à Casey plus longtemps. Sans doute aurais-tu dû lui coller au cul dès sa première sortie, l’envoyer chier et le suivre comme lorsque vous n’étiez pas encore arrivés à Hope City… Peut-être serais-il encore en vie… Mais avec des peut-être et des si tu referais le monde…