A lost firefly | Theresa

Que la grande et si fière Theresa me laisse la porter sans rien dire prouve bien son état. Pourtant, une fois allongée sur le lit, elle trouve encore la force de me provoquer. Elle est donc bien consciente. Et, je le sais, c’est sa façon de me remercier. Je la laisse se satisfaire de sa pique sans rien rétorquer, prêt à partir malgré sa demande de tout à l’heure. Ne serait-ce pas trop exagéré que de vraiment profiter de sa présence dans un lit ? La Luciole décide pour moi en me faisant de la place. Il est clair que l’invitation est plus que tentante. Je suis crevé, j’ai la tête qui tourne, j’ai mal au coeur car les mots de la jeune femme tournent en boucle dans ma tête et elle m’offre une présence pour la nuit.

Sans doute mon hésitation est-elle trop longue à son goût, car elle m’ordonne de m’installer. Et moi, bêtement, je compte lui obéir. Pourquoi est-ce que je me prends la tête comme ça ? L’alcool me l'a déjà suffisamment retourné, je ne vais pas m’y mettre en plus. J’ai à peine le temps de voir la main de Theresa agripper mon col que je suis attiré vers elle. Je me penche par obligation et elle en profite pour…

Un immense blanc se fait dans mon esprit. Toutes mes pensées, positives comme négatives, s’envolent. La seule chose sur laquelle j’arrive à me focaliser, ce sont les lèvres de Theresa sur les miennes. Et mes joues brûlantes. Je me fige, incapable de faire le moindre mouvement. Je la fixe, très surpris et cherchant désespérément une explication à ce qu’elle vient de faire. Ce moment n’était déjà pas assez bizarre, il fallait qu’elle en rajoute ? Comment je dois réagir ? Que dois-je dire ? Je sais qu’il n’y a ni bonne ni mauvaise réponse dans un cas pareil. On est tous les deux sous l’emprise de l’alcool, je sais que ce baiser ne signifie rien. N’est-ce pas…?

Lorsqu’elle me pousse sur le lit et qu’elle se cale sur mon bras, je sais ce qu’il se passe. La gamine est devenue folle. Je veux dire, vraiment folle. Je n’ai pas d’autre explication à tout ça. Si elle est alcoolisée au point d'agir de la sorte, je peux affirmer qu’elle aura tout oublié demain. Je ne sais pas vraiment quoi lui répondre. Ça va mieux dans un sens, car je ne peux penser à rien d’autre qu’au baiser qu’elle vient de m’offrir, de son plein gré ou non. Et j’espère bien qu’elle ne compte pas recommencer ! En fait, sa phrase me fait rire. J’aimerais vraiment pouvoir l’enregistrer pour tout lui ressortir demain et la voir toute gênée, elle qui est si fière en temps normal.

Mais… Je me rends bien compte que j’essaye de me persuader qu’elle n’est pas pleinement consciente de ses faits et gestes. Et si c’était le cas ? Si elle avait vraiment fait ça volontairement, dans l’optique de m’aider ? Elle a bien remarqué mon faux sourire, pourquoi elle ne pourrait pas avoir imaginé ce petit stratagème ? Après tout, c’est complètement tordu, c’est donc du Theresa tout craché. Super, je suis encore plus perdu qu’avant… Le drap qu’elle met sur nous scelle mon sort. Je vais dormir avec elle ce soir, je n’ai plus vraiment d‘échappatoire. Mais au fond, est-ce que j’en veux vraiment une ?

La question qui fâche. C’était évident qu’elle allait me la poser. Je m’en serais douté. Mais comment lui dire ? Je ne devrais pas lui avouer ce que je ressens vraiment, si ? Je soupire. Après tout, au point où on en est…

- Tu as raison. J’en ai marre d’être seul.

C’est très résumé, mais voilà, c’est dit. Je ne me sens vraiment pas capable de parler de ma mère, alors je n’en dis pas plus. Je ne sais pas ce qu’elle va en faire, mais malgré tout ce que l’on peut penser en nous observant, j’ai une confiance aveugle en elle et même si elle va peut-être l’utiliser pour me charrier un peu au début, elle saura s’arrêter lorsqu’elle se rendra compte que c’est vraiment douloureux pour moi et que c’est un sujet sensible. Je fixe le plafond, n'osant pas regarder la demoiselle.

Elle se moque. Evidemment qu’elle se moque. Mais bon sang, il y avait peut-être d’autres moyens de me changer les idées dans l’immédiat, non ? Cela dit, j’en ai marre de me prendre la tête en me demandant ce que chacune de ses actions signifie. Cette soirée, de toute façon, est hors du temps et de la normalité. J’aurais bien renchéri sur sa moquerie, mais le sujet qu’elle a lancé est trop sérieux pour moi et j’en suis incapable.

Je suis soulagée de voir qu’elle aussi, elle comprend le sérieux de la situation. Son visage, puis ses mots, me confirment qu’elle sera là, quoi qu’il arrive et qu’elle n’est pas qu’une simple collègue qui m’envoie des piques à longueur de journée. Theresa est bel et bien mon amie, et elle compte pour moi autant que je compte pour elle. C’est fou et c’est peut-être plus l’alcool que ma déduction, mais mon corps et mon coeur se réchauffent. Je suis… Heureux. Bien, à ses côtés. A l’aise.

Elle reprend, sans doute après s’être surprise elle-même par ses propos. En tout cas, c’est ce que m’évoque ses grimaces, face auxquelles je ne peux que sourire. Pour un peu, avec sa délicatesse que je ne lui connaissais pas, elle me ferait presque penser à Kaelyne et son don pour me réconforter et me rassurer. Mais, alors que la jeune femme aux cheveux roses est douce et délicate dans le moindre de ses gestes, Theresa est plus maladroite, plus franche.

La preuve, elle me force à la regarder. Et sa question, dont je me doutais de l’arrivée imminente, arrive tout de même à me nouer l’estomac et la gorge. Être dans le même lit, sa tendre caresse sur ma joue, son regard plongé dans le mien, son si doux sourire, ses mots si réconfortants… Elle me fait bien trop penser à…

- Ma mère.

Je lâche cette information, que je garde pourtant si secrète d’habitude. Je déteste parler de moi, me dévoiler, m’ouvrir. Je préfère rester seul avec mes souvenirs et mes fantômes. Dans ce monde qu’a fait naître l’apocalypse, chacun a son lot de souffrances et de pertes. A quoi bon les partager ? Mais la Luciole a raison.

A peine ai-je prononcé ces mots que les larmes montent mais que je me sens légèrement soulagé. C’est comme si parler d’elle la fait vivre à nouveau et qu’elle est près de moi. Alors, égoïstement, j’ai envie de voir jusqu’où je peux aller.

- Et ma petite amie.

Deux femmes dont je n’ai jamais su faire le deuil et dont les morts m’accompagnent chaque jour et chaque nuit. Je m’en sens encore terriblement coupable et si je m’accroche tant à protéger Theresa et Kaelyne aujourd’hui, c’est sans doute car en mon for intérieur, j’ai la bête impression que ça pourrait rattraper mes erreurs du passé, alors que c’est impossible.

C’est plus fort que moi. Je laisse mes larmes couler silencieusement, me réfugiant dans le regard de mon amie, qui me soutient tant. C’est la première fois que je parle d’elles à quelqu’un et c’est vraiment étrange, mais aussi stupide que ça puisse être, rien que ça, ça fait du bien. Avoir l’oreille attentive de quelqu’un pour soi, ça fait un bien fou. Je me libère d’un poids rien qu’en me confiant si peu. Peut-être que je devrais le faire plus souvent ?

Et elle ? Cette jeune femme qui sait trouver le moyen de me libérer l’espace d’un soir, peut-être a-t-elle besoin également de ça ? Elle a sûrement un passé qui la pèse autant que moi et si je peux l’aider aussi, j’en serais ravi.

Je ne sais pas si c’est plus pour elle ou pour moi, mais je la prends dans mes bras, nous lançant dans une étreinte dont j’ignorais que j’avais tant besoin. Je serre doucement son corps frêle contre le mien, n’étant pas sûr duquel de nous deux je cherche le plus à rassurer. Allongés dans ce lit, les choses ont l’air tellement plus simples. L’heure n’est plus aux questionnement et aux doutes quand aux gestes que nous avons l’un envers l’autre. On se donne juste du réconfort, ressource si précieuse à notre époque.

- Et toi ?