A lost firefly | Theresa

Cette idiote… Dans quoi est-ce qu’elle s’est encore fourrée… Si elle revient en zombie, je la tue moi-même. Non mais vraiment, quand est-ce qu’elle arrêtera de me filer des frayeurs pareilles ? Qu’elle sorte comme ça, la nuit, je ne suis déjà pas un grand fan mais bon, elle fait bien ce qu’elle veut, je ne suis pas son père. Tant qu’elle ne met personne en danger, qui suis-je pour lui dicter son attitude ? Surtout que c’est le rôle de son mentor de lui râler dessus. Elle m’épuise déjà assez en me rendant inquiet cette gamine, je ne vais pas me fatiguer davantage en lui faisant des leçons de morale dont elle n’aura rien à cirer.

C’est bien beau tout ça, mais ça n’explique pas pourquoi je suis devant chez elle, à attendre qu’elle revienne. Car elle va revenir, n’est-ce pas ? Elle n’est qu’en isolement. Cette fille, bien qu’elle soit folle à lier, est loin d’être faible. Elle ne s’est pas fait mordre. C’est impossible. J’ai beau essayer de m’en convaincre, ma présence ici ne fait que confirmer que je suis plus inquiet que je ne voudrais le croire. Je n’en peux plus de voir des gens mourir. Je n’en peux plus de devoir enterrer ou brûler mes amis ou même des connaissances. Et elle, cette Theresa, bien que notre relation soit plus qu’étrange, est mon amie. Du moins, je la considère comme tel.

Même si elle passe son temps à me chercher et que je me moque de ses réactions, je l’apprécie. Elle me change les idées, ce dont j’ai grandement besoin par les temps qui courent. Quand je suis avec elle, c’est comme si j’étais de retour au lycée et que je ne me préoccupais que de mes amis et de nos futures bêtises. Malgré tout ce que les autres peuvent dire, et malgré son attitude et ses actions que je n’approuve pas toujours, elle est pour moi une véritable bouffée d’air frais.

Sauf que là, elle n’est toujours pas rentrée. Et si ça continue, je vais finir par me ronger les ongles à défaut de me ronger les sangs. Pourquoi tarde-t-elle autant ? Et si elle s’était transformée ? Si elle était morte et que j’attendais un cadavre ? En entendant du bruit, je relève brusquement la tête et la vois. Je n’étais pas si loin de la vérité. Elle ne ressemble à rien. La voir comme ça me fait mal au coeur, mais au moins, elle est bien vivante. Enfin… Testons-là, pour en être sûr.

- Ba alors, tu participes au concours « L'infesté du mois » ?

L’inquiétude, la prévenance, les diverses attentions, tout ça ne marche pas avec elle, d’après mon expérience. Alors, j’adopte son moyen de communication tout en me débrouillant pour avoir mes réponses. Ça peut paraître puéril et je passe peut-être pour un gamin en faisant ça, mais au diable les apparences si je peux trouver un peu de lumière dans cette nuit interminable. Et puis je vais pas me laisser faire par une gamine tout de même !

Oui, c’est bien elle. Définitivement. Et même dans cet état lamentable, elle est capable de répliquer. Cette fille est incroyable, mais j’ignore si c’est dans le bon sens du terme. Elle semble prête à s’effondrer à tout instant. La force qu’elle utilise d’ailleurs pour me « pousser » n’est pas digne de celle dont elle fait preuve d’habitude. Je la suis des yeux, la porte étant restée ouverte. Si je ne m’étais pas décalé par moi-même pour la laisser entrer chez elle, se serait-elle affalée de la même façon par terre ? Finalement, elle me propose, ou m’ordonne plutôt, de rentrer à mon tour.

Ces mots acerbes, ces piques injustifiées… Elle m’avait manqué. Pour la première fois depuis les trente six heures où je ne savais rien de son état, je sens ma respiration se libérer, devenir plus facile. Enfin mes poumons retrouvent leurs habitudes, je ne m’étais même pas rendu compte à quel point j’étouffais. Il faut que je corrige cette manie à être tout le temps inquiet. Les autres vont finir par croire que je n’ai pas confiance en eux alors que ce n’est absolument pas le cas.  

Je rentre donc et referme la porte derrière moi. Je reste près de celle-ci, refusant de lui donner satisfaction en m’approchant.

- Désolé mais les gamines avec un ego plus grand qu’elles, c’est pas trop mon délire.

Le silence qui suit me semble étrange. A quoi a-t-elle subitement pensé pour avoir une telle expression ? Elle se remettait en question à propos de son ego ? Non, sûrement pas. Theresa finit par m’éclairer, et je me fige à mon tour. Merde. C’est vrai ça, qu’est-ce que je fous là ? Il est hors de question que je lui dise que j’étais inquiet pour elle, elle s‘en amuserait beaucoup trop. Et puis, elle n’a pas besoin de le savoir. En guise de contre-attaque, je lui offre donc un sourire narquois.

- J’venais juste vérifier si t’étais encore capable de raconter tes bêtises. Visiblement, l’isolement t’as encore enlevé des neurones. Pas de chance.

Ces joutes verbales ne sont vraiment pas ma tasse de thé et je n’aurais jamais atteint un tel niveau de répartie, quand bien même celle-ci ne vole pas très haut, si Theresa n’avait pas été indirectement mon professeur particulier.

Sa grimace ne fait qu’agrandir mon sourire. Je suis vraiment soulagé qu’elle soit de retour à la maison. Evidemment, elle ne laisse pas passer mes dires sans rien rétorquer. Quelle petite… Insolente. Penser à ma mort ? A ma tombe ? Très bien, alors je vais la prendre à son propre jeu.

- Oh donc tu es en train de me dire que malgré tout ce que tu me balances, tu m’aimes assez pour t’occuper de ma tombe ? Et après on dit que c’est moi qui risque de m’enflammer…

Je pousse un soupir avec un air faussement las. Si j’ai bien retenu une chose avec Theresa, c’est de surtout ne rien prendre au pied de la lettre. Il faut toujours que je la suive, que je joue sur son terrain. C’est ça qui marche le mieux, et qui nous permet d’avoir une conversation, aussi étrange soit-elle. Mais moi, ça me convient. Après tout, ça a toujours été comme ça entre nous. Alors que je m’apprête à continuer à fanfaronner sur elle et son désir de s’occuper de moi même après ma mort, mon sourire me quitte lorsqu’elle me fonce dessus.

Waouh, trop près ! Beaucoup trop près ! Je recule par réflexe, collant mon dos à la porte, avant qu’elle ne tape dans le mille. Merde. Elle n’est peut-être pas assez crevée pour avaler mes mensonges. Gêné de la proximité qu’elle a installé entre nous, je détourne le regard. Pas que je sois amoureux de cette gamine ou quoi, non. C’est juste que je ne suis jamais à l’aise lorsqu’une femme est aussi proche. Mais… Depuis quand je considère cette gamine insupportable comme une femme ? Je dois me ressaisir ! Je regarde à nouveau dans sa direction mais j'ai à peine le temps de voir son sourire moqueur qu’elle s’éloigne et sort de quoi boire et manger en m’invitant à la rejoindre.

Elle m’énerve. Elle est horripilante, inconsciente et que sais-je encore, mais je m’inquiète pour elle et j’aime sa présence, son sourire, sa répartie. Ou bien est-ce ma faute pour être aussi tolérant ? Mais maintenant que le sujet de l’alcool est abordé, je peux à mon tour lancer une pique, et ainsi ne pas me laisser traiter de mijaurée sans représailles. Je vais m’asseoir à ses côtés, bien décidé à changer de sujet.

- Pourquoi tu sors deux verres ? Il faut être majeur pour pouvoir boire de l’alcool, gamine.

Je me sers un verre, car même si je ne suis pas vraiment un fan d’alcool ni un gros buveur, j’en ai bien besoin après tout le stress que Theresa m’a filé ces dernières heures.

Je ne sais pas ce qui me surprend le plus honnêtement. Les énormités qu’elle me sort avec un clin d’oeil, comme si de rien était, ou bien son rire si franc et agréable à l’oreille. Est-ce que je l’ai déjà vu rire de cette façon auparavant ? Je ne crois pas. D’habitude, elle est sarcastique, moqueuse. Là… Il n’y a rien de plus vrai que son rire. Elle paraît réellement heureuse, alors qu’elle est épuisée, affamée, qu’elle sort de l’isolement et surtout, que je suis sa seule compagnie pour le moment.  Je regrette presque de la voir s’éloigner et qu’elle mette ainsi fin à ce moment unique.

Et puis, en l’espace d’un instant, elle redevient elle-même, me laissant encore étonné de sa réaction précédente. Vraiment, cette fille est énigmatique. Mais j’ai appris une chose sur elle aujourd’hui que je n’oublierais pas de si tôt : elle est capable de rire de la sorte. Et elle est magnifique lorsqu’elle le fait. Ce n’est pas qu’elle soit moche d’habitude mais, enfin… Je me comprends.

Je redescends finalement sur Terre et ris doucement.

- Bien dit !

Au final, son âge n’est pas important, elle a bien raison de profiter des petits plaisirs de la vie qu’il nous reste. Ce n’est pas moi qui vais l’arrêter en tout cas, sauf si elle entre dans l’excès, ce qui serait dangereux pour elle. Pour la troisième fois, elle insiste sur mon inquiétude. Qu’est-ce qu’elle veut que je lui dise ? Elle devrait pourtant avoir compris que je tiens à elle si je me suis inquiété de la sorte, non ? Est-ce qu’elle veut l’entendre de ma bouche ? Et elle insiste tant pour que je boive, sûrement pour que je lui crache enfin la vérité. Mais je ne compte pas le lui dire. Je ne veux pas qu’elle se méprenne sur mes intentions ou mes sentiments envers elle. Je veux garder notre relation comme elle est et j’ai peur que ça ne jette un froid entre nous si elle pense que je souhaite aller plus loin. Je ne veux pas la mettre mal à l’aise.

Heureusement, elle enchaîne, poussant mon verre vers moi. Bien, bien, je vais boire. Je comptais le faire de toute façon, et puis je peux faire passer ça comme la célébration de Theresa et de sa vie qui continue. Elle n’a pas lésiné sur la quantité, en en rajoutant même dans mon verre, mais tant pis. Ce n’est qu’une fois. Elle me lance son défi en me fixant puis me fait elle-même une démonstration de ce qu’elle attend, en me provoquant une nouvelle fois.

Donc si je suis bien, pour elle, un homme qui survit à tant d’années d’apocalypse n’est pas un vrai homme s’il ne boit pas un verre d’alcool, trouvé on ne sait où, cul sec ? Cette gamine est vraiment surprenante. Sans prendre le temps de lui répondre, je prends mon verre et le bois cul sec à mon tour, tapant le récipient vide sur la table comme elle il y a quelques secondes.

- Tu seras toujours une gamine à mes yeux, quoi que tu fasses.

Je ris à nouveau, heureux d’être ici, à ses côtés, et de profiter d’un moment en sa présence.

Et voilà qu’elle ressert les deux verres, avec un sourire. Est-ce que je dois jouer l’adulte relou et l’arrêter ? Ses yeux brillants me crient que oui, mais Theresa à l’air d’avoir tellement besoin de tout oublier, de se défaire de tous ses liens et ses barrières, que j’hésite franchement. Elle relance ses questions en buvant une nouvelle gorgée d’alcool et je la regarde faire en riant. Je l’imite même, buvant mon deuxième verre en entier, chose que je regrette immédiatement. Je sens que ça commence à tourner et il ne manquerait plus que je sois soûl en sortant d’ici. J’élude ce à quoi je ne veux pas répondre, étant encore plus ou moins capable de le faire, et réagis à ses dires.

- Mais nan, sérieux ?! Je savais pas ! Bien joué ! J’aurais adoré voir sa tête, ça devait carrément valoir le coup !

Je hais les miliciens. Si Theresa a pu en coincer un avec elle et l’humilier de la sorte, elle mérite un cookie. Ils sont égoïstes et hypocrites. Ils ne protègent que ceux qui peuvent payer et sont, en toute honnêteté et selon mon point de vue, inutiles. Certains dérogent à la règle, comme ce Wrench par exemple, qui de par ses actions me prouve parfois que j’ai tort, même si je me méfie toujours de lui. Mais dans tous les cas, moins je les vois, mieux je me porte. Après tout, je préfère ne pas placer mes espoirs en un semblant d’armée. J’ai bien vu ce que ça a donné au début de l’apocalypse. Alors que j’allais reprendre, le sourire toujours aux lèvres, la Luciole me devance, bien plus sérieuse.

Je tourne mon regard vers elle, qui en fait de même, le visage aussi sérieux que l’ambiance qu’elle a installé en l’espace d’une seconde. Qu’est-ce qui lui prend ? Pourquoi est-elle dans cet état tout à coup ? A quoi a-t-elle bien pu penser ? On riait bien, alors pourquoi ? Ce qu’elle me dit en plus… Ça lui fait plaisir ? Alors que je suis celui dont elle passe son temps à se moquer et à provoquer ? Je suis perdu. L’alcool dans mon sang ne m’aide pas du tout. Mes idées s’embrouillent et les mots sortent de ma bouche avant même que je n’ai pu les penser, mes yeux maintenant rivés sur mon verre vide.

- J’ai attendu devant chez toi dès que j’ai su que tu étais en isolement.

Car je savais qu’elle rentrerait, il ne pouvait pas en être autrement. Elle n’a pas le droit de mourir.

Le silence de Theresa m’oblige à relever les yeux vers elle et le spectacle me surprend. Ses joues rouges me font rire. Je ne savais pas que cette fille était capable d’une chose pareille. Avec moi, elle a toujours bien caché ce qu’elle pensait vraiment derrière sa carapace. Sans doute l’épuisement mêlé à l’alcool me permet de voir des facettes d’elle que je ne verrais jamais à un autre moment que maintenant. Puis ses mots et son regard fixe rendent ses rougeurs contagieuses et c’est à mon tour de sentir mon visage se réchauffer. Merde. Mais il m’est impossible de le nier, cette fille compte. Et oui, à ce point.

Elle essaye de se convaincre du contraire, de façon plutôt violente pour ses pauvres joues déjà bien rouges. Que faire ? Rentrer dans son jeu en lui faisant croire qu’en effet, c’était un piège et qu’elle est suffisamment nulle pour être tombée dedans ? Ou bien je lui dis la vérité ? Mais, comme je le pensais tout à l’heure, le même problème revient : est-ce que ça va changer notre relation ? Qu’elle sache que je tiens à elle, au fond, ça va lui changer quoi ? Peut-être qu’elle fera plus attention à elle, mais est-ce qu’elle ne va pas justement s’interdire des choses, qu’elle ferait en temps normal, à cause de ça ?

D’un autre côté, ce ne serait pas horrible de ma part que de lui dire qu’elle se trompe, que je suis juste une connaissance ? Et puis, est-ce qu’elle me croirait ? Une connaissance ne reste pas devant la maison de quelqu’un pour attendre son retour… Cela dit, avec tout l’alcool qu’elle a ingurgité, je doute qu’elle ait l’esprit assez clair pour voir les choses de cette façon. Et en sachant cela, j’ai d’autant plus peur de la blesser juste parce que je souhaite laisser les choses comme elles sont.

Il est donc temps qu’elle le réalise. Je ne sais pas si c’est l’alcool que j’ai dans le sang ou bien mon impulsivité naturelle qui fait que j’arrive à reprendre une teinte normale aussi vite, mais cela m’aide à enchaîner d’une façon que je ne me serais jamais permise en temps normal. J’attrape ses mains avec les miennes pour qu’elle arrête de cacher ses joues et pour l’empêcher de se claquer une nouvelle fois si l’envie l’en prend. Mes yeux ne perdent pas les siens une seule seconde.

- Je suis sérieux, Theresa.

Je reste comme ça un moment, à la fixer silencieusement pour qu’elle comprenne et imprime bien le sens de ma réponse. Cependant, je regrette bien vite mes paroles, rougis de plus belle et la lâche soudainement. Je décide de rajouter quelque chose, dans une vaine tentative pour détendre l’atmosphère.

- Qui j’embêterais si t’étais plus là, hein ?

J’arrête mon rire nerveux à peine l’ai-je commencé. Je m’enfonce, il faut que je me taise. Est-ce que je tente la fuite ? Ou est-ce que je la force à aller se coucher pour qu’elle croit que tout ceci n’a été rien de plus qu’un rêve ? Punaise, en l’espace de deux phrases, j’ai ajouté de l’ambiguïté à notre relation, ce que je voulais à tout prix éviter. Je suis désolé d’être aussi bête, Theresa. Je retiens un soupir et tente de changer le cours de la conversation, même si je sais que le mal est fait.

- Tu devrais aller te reposer, gamine.

A sa réponse, je suis vraiment soulagé. Finalement, j’ai bien fait d’enchaîner. Combien de temps le silence que j’aurais provoqué serait resté sinon ? Je préfère ne pas y penser. Theresa retourne dans la moquerie et ça me va très bien. Les choses ont été dîtes, et je suis heureux et soulagé que ça se passe ainsi. Nous ne perdrons pas notre amitié. Et tant mieux, car j’en ai vraiment trop besoin. J’avoue que son visage sérieux, d’où son sourire avait si subitement disparu, m’avait vraiment inquiété. Il m’avait même fait l’effet d’une douche froide, mais tout va bien. Je peux calmer mon coeur et-

Hein ? Quoi ? Ai-je bien entendu ? Je… Mon coeur ne se calme pas du tout. Elle n’est pas sérieuse, hein ? Sa proposition, c’est juste de la provocation, non ? Partager un lit, ça se fait avec quelqu’un que l’on aime… Je peux paraître terriblement niais et innocent de penser comme ça à mon âge mais… Et si elle se réveille demain matin sans aucun souvenir de cette soirée ? Je vais passer pour quoi ? Elle va probablement m’en vouloir et tout ce qui a été dit n’aura servi à rien. Et puis... Est-ce que moi-même je m'en souviendrais, de tout ça ?

Lorsque je la vois perdre son équilibre, je me relève rapidement et m’apprête à la rattraper mais elle se débrouille très bien sans moi. Heureusement, car moi aussi, je ne tiens pas vraiment sur mes jambes et je suis bien heureux de trouver des murs sur lesquels m’appuyer. Je me laisse entraîner par son rire et ris avec elle. Ce rire nouveau que j’ai découvert grâce à ce moment étrange, arrosé par un peu trop d’alcool bon marché.

- Complètement, je sais pas comment on a fait pour en boire autant ! Quand tu m’invites chez toi, fais au moins en sorte d’avoir de la qualité à me proposer !

Et je me tiens là, ne sachant pas quoi faire quant à sa proposition. Mais pour être parfaitement honnête, partager un lit avec quelqu’un me ferait du bien. Ne pas dormir seul l’espace d’une nuit est vraiment tentant. Et puis, c’est Theresa. Je sais que ce sera en tout bien tout honneur. Mais je ne compte pas accéder à sa demande sans la titiller encore un peu, même si au fond, j’en ai autant envie qu’elle.

- J’veux bien dormir avec toi, mais pour ça faudrait déjà que tu arrives à atteindre ton lit sans tomber.

Toujours plus. Theresa, elle n’en a jamais assez, et c’est d’autant plus vrai lorsqu’elle est sous l’emprise de l’alcool apparement. Mais grâce au liquide, je ne me rends pas bien compte qu’elle est accrochée à mon cou. Je vois juste son visage se rapprocher du mien et je souris en l’entendant.

- Tu seras si bien accueillie que tu voudras plus jamais repartir, tu verras.

C’est dingue que même avec le cerveau embrumé, on arrive encore à communiquer en se provoquant de la sorte. Bon, certes, certaines piques sont envoyées avec quelques vérités que nous aurions préféré garder pour nous je pense, mais notre relation est tellement tordue qu’elle l’est encore malgré notre état. Et le pire, c’est qu’elle ne m’a jamais paru aussi saine que maintenant. Je ne sais plus ce que je pense ou raconte. Il est plus que temps d’aller dormir.

Elle veut que je la porte. Elle me l’ordonne, même. Elle ne manque pas d’air, mais d’un autre côté, ça ne me dérange pas de lui rendre ce petit service. Elle a passé vingt-quatre heures en isolement, n’a presque rien mangé ni bu et est visiblement épuisée. Elle a le droit de me faire ce caprice, auquel je compte répondre sans lui opposer une quelconque résistance. Et puis, j’ai déjà sa tête contre mon épaule. Au point où j’en suis, l’avoir dans mes bras ne posera pas plus de problème.

C’est sans compter sur l’intervention de la demoiselle, qui effleure ma nuque de ses doigts fins. J’en frissonne sans pouvoir y faire quoi que ce soit et l'écoute, cherchant une explication à cette proximité qu’elle a installé entre nous depuis plusieurs minutes. Mais à la place d’une réponse, elle me poignarde en plein coeur par ses mots aiguisés.

Oui, j’ai besoin de quelqu’un. Mais ceux qui m’entourent finissent par mourir. Oui, je suis toujours seul, car j’en ai ma claque de ne pas être capable de protéger ceux que j’aime. Et la fin m’achève. Elle me ramène des années en arrière, avec ma mère. En effet, aucune femme ne m’a tenu la main pendant mon sommeil depuis que ma mère est morte. Et bordel, elle me manque. Franchement, Theresa me fait du mal en disant tout ça. La vérité, ça blesse. Sans doute suis-je bien trop émotif à cause de l’alcool, mais je le prends à coeur alors que je sais que je ne le devrais pas. Après tout, c’est une réplique piquante venant de la mercenaire, j’y suis habitué et en temps normal, il en faut bien plus pour me toucher ou me vexer. Mais là…

Ne préférant pas me donner en spectacle devant celle qui en profiterait à fond, je prend une grande inspiration, expire, me penche et attrape Theresa pour la porter dans mes bras. Je l’aurais bien porté sur mon épaule, comme le sac à patate qu’elle est, si je n’avais pas eu peur de lui faire mal. Surtout qu’elle est toujours accrochée à mon cou. Je l’emmène jusqu’à la pièce qui lui sert de chambre et la dépose doucement sur le lit.

- Dors, ça t’évitera de sortir des conneries plus grosses que toi, idiote.

Si je la laisse découvrir qu’en effet, je me sens seul, c’est foutu. Si j’ai bien retenu une chose avec elle, c’est de ne surtout pas montrer mes faiblesses. Alors je force un petit sourire, mon état me facilitant grandement la tâche.