ethically questionable ▬ adelaide

1987 - Naissance à San Francisco.
Mère célibataire, père "inconnu". La petite Addy grandit sans encombres dans l'appartement familial qui accueille sa mère, son oncle, et quelques années après sa naissance, son cousin. Enfant intelligente mais solitaire, elle semble préférer la compagnie des animaux et des livres à celles de ses pairs. D'abord jalouse de son cousin (comme bien des enfants lorsqu'un nouveau cadet arrive dans la famille), elle finira par s'attacher à lui et l'emmener dans ses petites aventures.

2001 - Premier baiser.
Ne vous faites pas d'illusions : sa solitude n'a qu'empiré en grandissant. Les adolescents de son âge la fuient ou la moquent, mais ne lui portent pas assez d'intérêts pour lui faire des poutous. Non, son premier baiser est un peu plus glauque, peut-être un prélude à sa folie, ou juste une bêtise d'adolescente. Suite à un pari perdu avec son cousin, elle a du embrasser la grenouille qu'ils disséquaient en cours de sciences le lendemain. Un premier baiser très coûteux, cela dit : puisqu'il signera également son renvoi du lycée. Ca, ou peut-être ses dissections clandestines de pelotes de réjection ? Ou le fait qu'on ait retrouvé dans sa chambre le hamster d'un de ses camarades, incompréhensiblement shooté à la vicodine ? Quoiqu'il en soit, le reste de ses études se déroulera à la maison, sous la tutelle de son oncle.

Fin 2007 - Premiers infectés.
Première exposition à sa future obsession. Son cousin, avec qui elle partage un appartement à côté de l'hôpital où elle travaille, mange des céréales devant les infos. T'as vu ça ? dit-il. Elle a vu, mais cela ne semble pas vraiment l'intéresser. Non, il faudra qu'elle y soit confrontée - quelques mois plus tard. Infirmière débutante, tout juste certifiée, il faudra que sa satanée curiosité la pousse à explorer une aile où elle n'est normalement pas affectée... pour découvrir, derrière l'épaisseur d'une vitre et les éclaboussures de sang, la gloire, la terreur, l'inexplicable : la faim des infectés. Pas assez sotte pour perdre une minute de plus devant le spectacle, elle s'empressera de rentrer chez elle pour y attendre son cousin... qui ne rentrera jamais. Pas de réponses aux messages. Pas de réponses aux appels. Son répondeur se remplira petit à petit. Jusqu'à ce que son numéro ne soit plus reconnu - probablement parce que le téléphone aura connu un sort aussi funeste que son propriétaire.

Début 2008 - Expédition.
Elle aura attendu son cousin deux semaines, barricadée dans l'appartement. Enfin, c'est sa version officielle des événements. En vérité, elle aura passé deux semaines à manger tout ce qu'il restait dans l'appartement, et à hésiter entre deux options. La première : voler un bateau et fuir par l'océan. La deuxième : se frayer un chemin jusqu'à un refuge dont elle a entendu parler à la télé, visiblement celui où l'étude du virus a commencé. Pourquoi autant de temps pour se décider ? Déjà parce qu'elle n'aime pas beaucoup le poisson. Mine de rien, ça a son importance. Ensuite, parce que rien n'indique que le virus ne puisse pas voyager par les eaux également... ou qu'il y aura une terre promise à atteindre un jour. Et enfin, parce que ce ne serait pas beaucoup plus excitant d'être au centre de l'action ? De mettre à bien ses talents d'infirmière - bon, talent est un bien grand mot, mais un diplôme ça ne se jette pas à la poubelle, non ? - pour sauver le monde ! De côtoyer au plus près ces dangereux affamés, cavaliers de l'apocalypse, invincibles symboles de l'avarice humaine... Sa témérité aura raison de sa prudence, et plutôt que de se faufiler à travers les cadavres pour aller jusqu'au port, elle se faufilera à travers les cadavres pour aller jusqu'à Hope City.

Une entreprise qui se révélera bien compliquée. Sur son chemin, Adelaide rencontrera des innocents perdus comme des pillards sans pitié, des enfants abandonnés ou des femmes enceintes de futurs mort-nés. Elle fera un petit bout de chemin avec un petit groupe de familles brisées par les infectés, jusqu'à ce que les vivres se raréfient et que des murmures de cannibalisme voyagent à travers le camp. Hors de question qu'elle s'abaisse à ce genre de choses ! Ce n'est pas des gens en bonne santé qu'elle veut voir s'entre-dévorer, après tout. Après ça, c'est seule qu'elle fera son petit bout de chemin, s'arrangeant pour rester le plus discrète possible. Au fur et à mesure que la vie quittait les alentours, les survivants devenaient presque plus dangereux que les infectés. Elle fit quelques détours, rallongeant d'une semaine son trajet (mais également son espérance de vie), au cours desquels elle récupéra assez de vivres pour tenir jusqu'à son arrivée. Lorsque la vision des murs s'offrit à elle au bord de l'horizon, elle ne put s'empêcher de sourire niaisement. Un grand sourire, qui l'accompagnera jusqu'à ce qu'elle arrive devant la porte.
Elle avait fait le bon choix.

2009 - Tragédie.
Après avoir joué des coudes et du décolleté pour réussir à se faire une petite place au laboratoire du refuge, Adelaide vivait, on peut le dire, sa meilleure vie. Enfin à proximité des cerveaux les plus stimulés du monde vivant, des recherches les plus importantes de la planète, et des expériences les plus intéressantes de la galaxie - que demander de plus ? Bon, non, tout n'était pas parfait. Ils manquaient toujours de moyens, de matériel, d'expériences témoins. Mais tout cela avançait lentement, et elle était à bord du train magique du progrès scientifique. Enfin ! Elle se voyait déjà, quelques années plus tard, après être EVIDEMMENT montée en grade grâce à sa science infuse, accepter un prix nobel pour avoir aider à sauver l'humanité, et saluer fièrement la foule en délire qui l'acclame... Un joli rêve, non ? Qui se dissipera aussi facilement que toutes les recherches réalisées sur le virus jusque là. Je vous dis pas l'ascenseur émotionnel. Pire que l'incendie de la bibliothèque d'Alexandrie !

Dix ans plus tard - Aujourd'hui.
Toujours vivante, toujours debout, toujours la banane, toujours le même poste. Adelaide a trouvé un entre-deux confortable, au milieu de tout ce chaos. Elle n'est pas assez qualifiée - ni assez raisonnable - pour qu'on la laisse mener ses propres recherches, mais elle est là depuis trop longtemps pour qu'on la cantonne à un simple rôle d'infirmière. Alors le deal est simple. Elle s'occupe de faire passer leur bilans de santé aux immunisés, gère le traitement des données les concernant, assiste les chercheurs qui demandent son aide, et passe de temps en temps à l'hôpital pour donner un coup de main ou des conseils. Sa vie sociale est toujours sous-développée, ses cheveux sont toujours coupés au carré, et elle garde toujours sur elle de quoi mettre sur papier ses émotions.

Et au final... ça lui va très bien.