Venin de Niddhögg • ANALYNN

J’avais un peu le vague à l’âme, ce soir. L’un de mes chiens, Sir Helix, est mort d’une infection dans la soirée. J’ai rien pu faire pour l’aider à part achever ses souffrances. Je déteste faire ça. Ca me mine toujours. J’aime toutes mes bêtes. Même si je sais que notre monde est désormais un putain de charnier géant, ça n’empêche que j’ai toujours l’espoir qu’un jour on retrouvera une vie normale. Une vie dans laquelle m’a famille n’aura plus à avoir peur de tout. Une vie dans laquelle mes chiens n’auront pas à combattre. Une vie simple, en fait.

Comme a v a n t.

Je peine à me rappeler de comment c’était, avant, justement. On faisait comment quand on avait pas peur en permanence, quand on pouvait dormir sur nos deux oreilles ? Ca semble si irréel maintenant. J’en viens à me demander si ça a vraiment existé un jour.

J’en ai m a r r e.

Je suis fatigué, ce soir plus qu’un autre. L’accumulation des emmerdes récentes doit pas forcément aider mais bon, pour pas changer, je retombe dans mes travers. Ciao bisous, le goulot de la flasque de whisky atteint mes lèvres en un temps record. J’ai l’air stupide je pense, assis sur ce rebord de toit, les pieds dans le vide. J’observe le chantier qui nous sert de monde, actuellement. On dirait le Mordor.

Je trouverais ça presque d r ô l e.

En d’autres circonstances.

Une voix. La sienne. Évidemment, comment pourrait-il en être autrement ? Mes yeux s’attardent sur sa silhouette. Elle est toujours égale à elle-même. Analynn. Ses mots me tirent tout de même un sourire – amer, certes, mais c’est mieux que rien, je vais donc m’en contenter.

Je tapote la place à côté de moi – enfin si par place on peut nommer un rebord foireux et branlant par endroit. Mais bon, tant qu’il n’y a pas de zombie à l’horizon, je ne m’inquiète pas trop pour elle, c’est une fille qui sait comment est faite la vie ici, désormais. « Qu’est-ce que t’attends ? Une invitation ? » Comme si elle avait besoin de ça, maintenant.

Elle est ma moitié, une partie de mon histoire à tout jamais gravée en moi. Et surtout dans mon passé. Depuis quand est-ce que j’ai commencé à raisonner comme ça ? Ça n’a pas de sens. Et pourtant, c’est un peu vrai. Notre relation est la toute dernière chose que j’ai d’avant l’apocalypse. La seule chose qui me raccroche à cette part de ma personne.

Serais-je un venin plus qu’un o n g u e n t ?

Je saurais pas quoi dire de plus. « Alors princesse, qu’est-ce que tu voulais au Darklord que je suis ? » Ahah, l’autodérision, c’est quand même mon truc. Ça m’aide à faire croire que tout va bien. Même si je sais bien qu’elle ne s’y laissera pas prendre si facilement.
Elle n’est pas n’importe q u i.

Elle est adorable, Analynn. C’est une bouffée d’air frais sur jambes. Heureusement que je l’ai auprès de moi. Tout le monde ne peut pas en dire autant, je sais bien que je suis chanceux. Et pourtant, je peux pas m’empêcher d’avoir cette petite voix, au fond de mon crâne, qui me dit que peut-être je me suis trop habitué à ce rythme de vie. Après presque dix ans de couple, on pourrait se dire qu’une routine – somme toute relative vu l’état de notre monde – est une chose normale dans un couple, mais… Je sais pas.

Ça me d é r a n g e.

Ça ne m’empêche pas de l’embrasser, pourtant. Parce que je l’aime. Parce qu’elle est près de moi. Parce qu’elle est ma raison d’aimer encore le genre humain avec Orane et Axel. Et puis elle me connait bien à force de me conjuguer. Alors je me redresse et fixe l’horizon. J’aime pas montrer mes faiblesses ; sauf qu’il faut bien me passer à l’exercice de temps à autre.

J’ai m a l.

« Sir Hélix est mort. J’ai été obligé d’abréger ses souffrances. » C’était un vieux chien et sa santé déclinait de plus en plus. Il ne pouvait plus vraiment marcher seul, et pourtant je n’arrive pas à trouver ça juste. Peut-être que si tout n’était pas infesté de zombies, si on avait une vie normale, on aurait pu trouver un vétérinaire ou j’sais pas.

Mais j’aurais pas eu à l’a c h e v e r.

Ça m’a couté une balle et mon amour propre. Mais pire encore, c’est les commentaires que j’ai entendu à voix basse. Si certains ne sont pas content que j’ai ‘gaspillé’ – selon leurs termes une balle pour mon chien, je les attends de pied ferme.

J’suis pas d’h u m e u r.

Je dois admettre que depuis le début de l’épidémie, des gens que j’aime (ou que j’appréciais, tout bêtement), j’en ai perdu à la pelle. Des connaissances, des voisins, tout le farda des têtes qu’on à plus ou moins l’habitude de voir. C’est comme ça, ça fait un sacré choc malgré tout. Alors on s’habitue. C’est encore plus triste à penser qu’à le dire mais l’être humain à cette foutue particularité de se blinder lorsqu’il le peut – et lorsqu’il en est capable – pour supporter le quotidien, l’horreur et tout le reste.

C’est tout ce qu’on a, m a i n t e n a n t.

Autant aller de l’avant. Pleurer mon chien me le ramènera pas. Je sais que je peux toujours compter sur des proches pour faire office de support. Heureusement qu’ils sont là, d’ailleurs. Sans Axel, Orane et aussi Analynn, franchement je sais pas ce que je deviendrais. Ou ce que je serais devenu. Ils m’offrent tous quelque chose sur quoi reposer. Ils ne le savent peut-être pas – je ne suis pas particulièrement doué pour exprimer mes sentiments, faut dire – mais ils me sont essentiels. La réciproque du soutien est avérée. C’est ainsi que je vois les choses.

Ils me permettent de v i v r e.

J’suis pas devin, loin de là. Mais merde, s’ils n’avaient pas été là depuis le début, tous, est-ce que j’aurais survécu aussi longtemps ? J’en sais rien. On va dire que oui, histoire de gonfler mo négo. Au fond je m’en fous, de tout ça. Tout ce qui compte, c’est l’instant présent. Et ce qu’on est capable d’en faire.

E n s e m b l e.

Je contact d’Analynn m’apaise. « Merci princesse… » Je ne veux pas la culpabiliser. De toute manière je ne voulais pas avoir qui que ce soit avec moi pour faire… ça. J’aurais probablement été odieux avec elle, hors ce n’était pas le but. Autant qu’elle ne soit pas restée avec moi à ce moment-là ; c’est mieux comme ça. « Et puis bon, t’es là, maintenant. C’est le plus important, non ? » Je crois sincèrement que la présence, même à posteriori est tout de même plus importante que le reste. C’est comme ça. « J’ai enterré Hélix dans les plantations. Comme ça, dans un sens, il ne sera jamais loin de nous. » Il continuera à nous aider, d’une manière différente, c’est tout.

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