J’ai assez lutté. - Ft Lucian

Le premier District, seul et unique survivant du découpage - un peu ridicule – de Hope City avait toujours eu les bonnes grâces de Lucian. L’homme se souvenait encore avec précision de ce à quoi pouvaient ressembler les autres et si celui-ci payait le prix de son ancienneté, le fait qu’il soit justement le premier le rendait unique. Aujourd’hui, on imaginait plus comme il avait été difficile, il y a une décennie, de bâtir cet endroit pour sauver des vies, lui aimait y penser lorsqu’il parcourais seul les ruelles souvent malodorantes de l’endroit, c’était étrange, sans doute, mais il ne pouvait s’empêcher de s’imaginer des histoires, des récits héroïques, bien trop romancés de ce qui avait pu se passer par ici avant que cette ville n’en devienne une, avant qu’elle ne commence à s’étendre … avant qu’elle ne soit confié aux plus aisés, avant d’être remise aux mains des plus valeureux.

Lucian n’avait pas bu aujourd’hui. Il n’avait, pour le moment, pas encore réussi à s’attirer d’ennuis et mine de rien, il retirait de tout cela une certaine fierté. Oui. Il se voyait déjà rentrer à la maison du Gouverneur, son père, et pouvoir prétendre sans mentir avoir passer une journée calme, plutôt reposante même, et ce, sans avoir ne serait-ce qu’une seconde semer le discrédit sur sa famille d’adoption. De toutes façons, l’homme savait qu’il n’était plus la seule déception de la famille, Aedan occupait la place qui jadis lui revenait systématiquement de droit et ce simple fait faisait de son frangin un presque héros à ses yeux. Parce que, si Lucian était capable de s’échapper, s’il imposait au Gouverneur une certaine volonté, il demeurait encore à ce jour incapable de le trahir d’une quelconque façon, ou de lui désobéir de façon trop significative. Robert avait sauvé sa vie. Et puis, Lucian le savait, l’homme l’avait toujours considéré comme son propre enfant et pour quelqu’un comme lui, qui avait perdu sa famille si brusquement, ça n’avait pas de prix.

Bien vite, Lucian quitte l’allée trop fréquentée, le brun ressent l’envie de se reposer, et pour aller plus vite, il coupe à travers une ruelle qu’il connait bien, un petit chemin, assez large pour laisser passer deux personnes si elles consentent à laisser se frôler leurs épaules, bordé de cabanons qui à chaque fois lui donnent l’impression qu’ils vont s’écrouler s’il les approche de trop près. Et si d’ordinaire, ici, il n’y a personne, lorsque le cadet des Stellaa relève le nez cette fois, il se retrouve face à face avec un gamin, visiblement pressé qui lui adresse quelques mots avant de lui fourrer tout un tas de bric à brac entre les bras. Et si au moment où le gosse se taille, Lucian n’a toujours pas compris ce qui lui arrive, lorsque l’inconnu se plante devant lui pour lui passer un savon accompagné de grands gestes, il soupire. Lorsqu’il ne cherchait pas lui-même les ennuis, pour se distraire, les ennuis eux-mêmes lui tombaient sur le coin du nez.

Durant environ une, voir deux minutes, Lucian reste de marbre, les bras toujours chargés, il finit néanmoins par tout laisser retomber au sol et après une énième insulte, il voit rouge. Son regard bleuté semble s’être brutalement chargé de flammèches, parce que si Lucian avait bien une sainte horreur d’une chose, c’était que l’on ose s’en prendre à lui, gratuitement, et sans lui laisse le temps d’en placer une. Aussi, il ne lui faut pas plus de trente secondes pour tendre la main, pour empoigner les cheveux de son agresseur et lui envoyer la tête dans le mur le plus proche. Le plus drôle dans tout cela étant probablement cette remarque qui s’immisce dans l’esprit du Stellaa quant à l’étonnante solidité du cabanon que la tête de ce pauvre bougre vient de rencontrer.

Un soupire quitte finalement ses lèvres, du pied, il pousse quelques-uns des objets qui trainent désormais, éparpillés au sol.

▬ J’imagine que tu tiens à récupérer ça, gamin, lance-t-il après quelques secondes, comme s’il était certain que le gosse était encore dans les parages.

Il n’a que peu de patience, généralement, ça s’est d’ailleurs vérifier face à ce pauvre bonhomme dont la tête vient pratiquement de finir encastrée dans une cabane, pourtant, Lucian reste là. Il pourrait évidemment laisser ce gosse se débrouiller avec la suite, mais subitement, voilà que le calme qui régnait jusqu’à présent autour de lui l’ennuie profondément. C’est comme s’il sentait qu’il y avait quelque chose à creuser à travers cette rencontre fortuite, il est assez curieux pour avoir l’envie d’avoir le fin mot de cette histoire, le pourquoi du comment on est venu lui coller tout un tas de bric à brac dans les bras, avant qu’il ne se fasse subitement agresser par cet affreux personnage à l’haleine désagréable.

Les mains du brun viennent se glisser dans ses poches, il recul, d’un seul pas, il se tourne en direction du gamin qui, comme il se l’était imaginé, à fini par sortir de sa cachette. En l’écoutant, il agite lentement la tête de droite à gauche, et il soupire, encore. Plus lourdement, cette fois.  Il ne fait pas un geste pour l’arrêter, le ralentir, rien. Il laisse ce gosse venir ramasser des petites choses dans le tas qui s’est étalé au sol, et ce n’est qu’à ce moment qu’il fronce les sourcils. Il sort finalement une main de sa poche, et ses doigts viennent frotter ses deux yeux quelques secondes. Enfin, le voilà qui se penche en direction du gamin, et brutalement ses doigts s’accrochent à son haut bien trop grand. Il tire un peu sur le tissu, vers le haut, comme on empoigne un sale type pour lui apprendre les bonnes manières, et c’est un peu ce qu’il semble décidé à faire avec ce petit effronté.

▬ Qu’est-ce que tu comptes faire avec ça ? Il l’a bien vu, il a ramassé des armes. Et pour le coup, Lucian ne tient pas spécialement à être complice d’un tel larcin, à moins qu’il y ait de bonnes raisons.

Parce que oui, le cadet des Stellaa tolère le vol. Il n’a jamais été homme à faire la morale à qui ce soit à ce sujet, il comprend la misère, il sait que parfois, se servir chez les autres est un mal nécessaire lorsqu’on veut manger. Mais pour le coup, il ne s’agit pas de nourriture. Et forcément, ça passe moins bien.

▬ Pourquoi je t’apprendrais quelque chose ? Pour t’aider à dépouiller d’autres crétins dans son genre ? Il n’est évidemment pas du côté du type qu’il a mis K.O. Il aurait pu l’être, si cet homme avait choisi d’être plus aimable mais en lui crachant quasiment au visage, il avait compromis toutes ses chances auprès de Lucian.

Il le relâche, finalement. Ça n’aura duré que deux petites minutes, mais il se redresse, il le toise de toute sa hauteur, en réalité, il l’observe, ce gosse, et après quelques minutes de plus, il détourne les yeux. Il lui parait bien menu ce pauvre garçon.

▬ T’es sûr que tu manges assez ? T’as quel âge, gamin ? Tu me parais bien faiblard. Pas étonnant que tu ne sois pas bien fort. C'est de la bouffe que tu devrais voler, pas de la ferraille.

Des gamins comme celui-ci, il y en a plein les rues puantes de ce District. Lucian le sait. Il aurait pu être l’un d’entre eux, si ses parents n’avaient pas été si proches du Gouverneur, et si ce dernier n’avait pas décidé qu’il avait un devoir envers le gosse qu’il avait été, à l’époque. Au fond, le brun s’était toujours senti partagé, le « cul entre deux chaises » comme dirait cet aubergiste, habitué à voir le cadet des Stellaa venir s’échouer à l’une des tables de son infâme gourbi. Un pied dans le confort du Nord, l’autre dans la misère du Sud. Le cœur et l’esprit à des endroits bien distincts, faisant de lui un être indécis, instable, aussi.

Du coup, il l’observe. Il lui fait penser à un chiot, sauvage, hargneux. Le genre qui n’a jamais eu d’affection, qui ne connait donc pas la douleur, qui ne sait agir et réagir que par la violence que lui inspire la peur, l’inconnu, les ténèbres. Il endure le coup de pied, il grimace, il souffle. Oui, ça fait mal mais il ne s’en offusque même pas, en fait, à la place, Lucian se met à rire. Il rit même de bon cœur face au culot de môme qui pourtant, donne l’impression d’essayer de griffer, et de mordre depuis tout à l’heure. Il a capté son propre nom, dans son discours. Du moins, celui de la famille à laquelle il appartient désormais. Mais il ne prend pas ses mots pour une offense, bien au contraire. « Chacun sa façon de rester en vie, gamin. C’est la façon de faire de Léandre, mais je te l’accorde … c’est quand même un sale type. » A l’évidence, celui qui était devenu son cousin par la force des choses savaient marquer les esprits à sa façon dans les parages. Cette simple pensée le fait sourire de plus belle. Il ne portait pas Léandre dans son cœur, certes, parce qu’il n’appréciait guère sa façon d’être, ou de faire les choses, pour autant, Lucian ne l’avait jamais détesté. D’ailleurs, il était rare d’obtenir de la haine, de sa part.

Lucian ne tarde pas à se redresser. Et lorsqu’il le fait, étonnement, son regard à changer. Son sourire à disparu, cette fois, non, il ne rit plus. Il sait reconnaître une réelle provocation quand il l’entend, et s’il y a quelque chose qu’il faut savoir, à son sujet, c’est qu’il cède toujours à la provocation. Il ne lui en veut pas pour le coup de pied, quand bien même son tibia lui rappelle avec douleur qu’il le devrait, pourtant. Mais ça ne l’empêche pas de s’approcher vivement du gosse et de l’attraper par un morceau de tissu, en haut de son dos. Avec brutalité, il le projette au sol, dans la ruelle, et sans lui laisser le temps de se redresser, il le reprend de la même manière pour l’envoyer contre le mur, avec la même violence, et la force qui le caractérise. Là encore, il revient rapidement vers lui, et ses doigts empoignent le col du gosse par le lequel il le soulève de quelques centimètres au-dessus du sol. « T’es aussi légère qu’une gamine, t’es hargneux petit, mais c’est tout ce que tu as. Je te l’ai dit, commence par manger un peu plus si tu veux t’endurcir, autrement tu finiras dans le vieux cimetière plus vite que tu ne penses, avec cette attitude. » Il relâche finalement, sans pour autant reculer, il toise le môme de toute sa hauteur. « Le respect ça se gagne, ça s’réclame pas. »

Il l’emmerde. C’est ce qu’il lui balance, comme ça, probablement une conséquence de ce que Lucian venait de faire et contrairement à ce qu’on pourrait penser, il pouvait le comprendre. Il venait probablement d’entamer la fierté de ce gamin en lui prouvant par A plus B qu’il était plus fort, et que, il pouvait bien continuer de le menacer de bien des choses, lui n’allait pas se rabaisser à la peur. Certains diront que le cadet des Stellaa est allé trop loin, sur ce coup et lui dira simplement quelque chose comme : « il faut ce qu’il faut. »

« J’ai pas b’soin de reconnaissance, moi. » Voilà bien tout ce qu’il a envie de répondre à ça. Lucian n’est pas comme son père adoptif, ni comme ses frères, encore moins comme son cousin. Il est lui. Il n’est pas issu d’un milieu si facile que ça, et si sa mère n’avait pas été qui elle était, il serait dans la même situation que ce gosse, la gueule ouverte, la langue pendante, semblable à un animal enragé. Alors oui, des facilités, il en avait. Pour autant, il avait une sainte horreur qu’on les lui rappelle, simplement parce qu’il n’avait jamais demander à les obtenir et que, si on lui avait réellement demander son avis, il vivrait probablement ici, au Sud, avec le reste du peuple.

Et le voilà qui abandonne, du moins c’est l’impression qu’il laisse. Il vient bousculer le brun, et lui, ça le fait sourire. Un sourire un peu moqueur, il faut l’avouer. Il est là, à regarder ce pauvre petit qui braille et qui s’agite … là-dessus, ils n’ont vraiment rien en commun, ou presque. Lucian a pour habitude de se dire qu’il est plutôt calme de nature, mais en réalité, il n’en est rien. Lui aussi, il s’agite. Lui aussi, il cherche la bagarre. Le problème dans son cas, c’est qu’il fait ça pour se sentir en vie, seulement ça, il ne cherche rien d’autre. Rien de plus important, rien de plus intéressant.

« Pas que ça à faire … oh, excuse-moi, ta majesté, c’est vrai, tu dois avoir d’autres imbéciles à pigeonner. » Et le revoilà, ce sourire. Et la revoilà, cette manie, cette habitude, celle de provoquer, d’attaquer sur le terrain qui te semble être le plus sensible. « Et donc, ton plan c’est ça. Tu cherches la reconnaissance en arnaquant et en volant les autres, à droite, puis à gauche. Félicitations, vraiment … » Et il se met à applaudir, tout en avançant dans la rue, presque triomphant. Donnez un oscar à cet homme, vraiment. Il ne s’arrête que pour se pencher sur le gosse. « Avec un peu de chance, d’ici quelques années, tu seras proclamé « sale gosse du district » ! »