Becoming Dirty ♦ Tiago Mora

Ma mère voulait me pondre à Porto Rico, pour que la première terre que je vois soit celle de nos ancêtres, soit-disant. Faut croire que je voulais foutre ses plans en l’air parce que j’ai décidé de me pointer un soir sans prévenir dans un Walmart en Caroline du Sud, entre les bières et les Doritos.

J’aurais dû croire en Dieu aussi, mais pour ça non plus j’ai pas suivi le programme. C’est marrant parce que mon père est un taré qui collectionne les flingues, comme quoi fallait aider un peu le divin en ce qui concernait notre protection terrestre. Enfin je vais pas lui jeter la pierre, ça en a dissuadé pas mal de venir nous faire chier. On aurait pu avoir un président noir mais Obama n’a jamais eu l’opportunité de faire ses preuves en tant que leader et l’ancien climat politique n’était pas fait pour servir les communautés étrangères.

On parlait espagnol à la maison mais j’ai jamais foutu les pieds dans “mon pays”. Moi, je voulais aller au Canada et sillonner les routes de cette région qui avait l’air incroyable, en tout cas elle me faisait bien fantasmer quand je squattais internet pendant des heures sur l’ordi de mon frère. J’me voyais déjà au volant d’un bel engin à profiter des paysages, enchaînant les rencontres et devenant un vrai baroudeur, comme dans les films. Pour coller à l’image, j’étais particulièrement acharné en cours de sport et je me suis mis assez tôt au parkour. Ca m’amusait et ça m’a taillé une silhouette qui me déplaît pas, j’dois vous dire. 90kg de muscles pour 1m94.

Pour réaliser mon rêve, je me suis fais du blé en bossant pour un gang hispanique. Mes compétences de mécano leurs étaient bien utiles, parce que sans bagnoles : pas de deals. Ils me payaient assez bien et j’étais pas obligé de les rejoindre, même s’ils me l’avaient proposé. Je me mêlais pas de leur business et il me laissaient faire le mien, c’était notre accord.

Mon plan a été brisé à coup de batte de baseball quand, lorsque j’ai obtenu mon propre moyen de locomotion, on m’a dit qu’il n’était pas aux normes. Pas assez écolo. Pas de Canada pour moi.
J’ai donc pris ma caisse, réglé l’autoradio sur de la dark country et je suis parti pour la Californie. J’ai eu toute la route pour rêver de ce que j’allais y faire à part profiter des plaisirs les plus simples, prenant un ou deux auto-stoppeurs en galère sur le chemin. J’ai fais plus ample connaissance avec certains d’entre eux sur la plage arrière, ça a rendu le voyage plus sympa.

Une fois débarqué là-bas, ça a pas été facile mais comme rien ne m’arrête, je me suis débrouillé. J’ai trouvé un boulot bien payé au noir, vendu ma caisse pour pièces et retapé un van acheté au rabais que je garais pas loin histoire de faire l’aller-retour sans payer l’essence. Ce van me servait de maison et occasionnellement de moyen de transport. Pour assurer mon hygiène quotidienne, c’était plus facile que de devoir s’introduire dans des piscines publiques ou d’utiliser les chiottes des fast-food, yavait ce qu’il fallait sur place, on était plusieurs à crécher dans le coin. J’avais pas de portable, n’ayant aucune adresse à renseigner pour la facture ni aucun compte en banque, alors j’envoyais de temps en temps des courriers à ma famille qui me répondait à l’adresse d’un tabac que je leur avais donné, les gars étaient sympa ça les dérangeait pas. J’étais en quelque sorte un clochard de luxe.

Cette vie suffisait à mes besoins vitaux mais j’avais besoin d’air, alors j’ai demandé au boss si je pouvais me tailler quelques jours sans me faire griller le job. Chic type, il m’a dit oui.Tant que j’étais revenu la semaine suivante, il me considérait encore dans la partie et il était réglo, j’avais pas à m’en faire quant à sa parole. Je partais donc l’esprit tranquille.

C’est au comptoir d’un bar ouvert que j’ai rencontré une jolie fille aux cheveux décolorés. Ses pointes ondulées dansaient sur ses épaules en suivant ses mouvements, elle était vraiment très belle. Je lui ai offerts à boire et on a discuté. C’était une future étudiante en ingénierie, elle commencerait les cours dans quelques semaines et elle voulait profiter de ses vacances. Je voulais pas la faire fuir en lui parlant de ma vie mais elle avait l’air d’aimer les mauvais garçons, alors quand je lui ai révélé une partie de mon existence récente, ça l’a pas fait fuir du tout, au contraire, on a passé une très bonne soirée.

Elle m’avait fait un véritable teaser de sa branche, implantant en moi l’envie de la suivre en cours. Bien entendu, ces études étaient trop chères alors Hailey et moi avons conclu un deal. Aux yeux de sa famille, elle ne pouvait pas s’afficher avec un gars comme moi, elle devait trouver un meilleur parti, ce que je comprenais. Elle accepta de me partager ses cours en échange de pouvoir m’avoir à sa disposition quand elle le voulait. Evidemment, j’ai accepté.

J’avais donc accès à des cours que je n’aurais jamais pu me payer grâce à elle, un toît qui pouvait m’emmener partout, et une vie sexuelle qui bien qu’occasionnelle était assez pimentée pour nous satisfaire, Hailey et moi… Le rêve, que je me disais. Tu parles.

Y a eu cette saloperie d’épidémie et j’ai dû filer vers un des camps organisés par les survivants qu’on était. Les premiers étaient aussi efficaces que des châteaux de carte, alors j’ai tracé mon chemin vers Hope City qui avait l’air d’être le plus important. C’était dans l’Etat voisin et le temps d’arriver là-bas, j’avais déjà le sang de mes pairs sur les mains. Quand j’y pense, ça a presque la même texture que le cambouis. J’ai pas réussi à contacter Hailey, j’espère qu’elle s’en est tirée, ça me ferait chier que non. Elle est peut-être trop pure pour ce monde, incapable de trahir son prochain, mais elle mérite pas de crever comme une chienne.

Quoiqu’il en soit, je me suis fais une place parmi les autres survivants du District 1, les restes de mon van comme logement, les pièces utilisables ayant été réquisitionnées par la milice ou volées pendant que je faisais une petite sortie dans les quartiers infestés.

Mon expérience m’a bien servie jusqu’ici, sans ça je crois que j’aurais déjà cassé ma pipe et perdu mon van. Chaque expédition à l’extérieur du D1 est prêt sur gage de ma propre vie. C’est dangereux, mais je crois que ça me plaît. En fait, quand j’y pense, ça m'exciterait presque.