L'air, plat et doux. Et sous le silence, une voix.
« C’est ainsi que, le troisième jour, je connus le drame des babo… »
Tu t’arrêtes, figée, tes sourcils se fronçant lentement l’un vers l’autre alors que tes yeux se plissent. Tu es tendue comme si une menace venait de s’élever au-dessus de toi. La vérité, pourtant, c’est que tu as buté sur un mot, et que maintenant, toute la confiance en toi s’est évaporée. Tes yeux passent et repassent le mot, mais non… tu ne sais pas ce que c’est.
Les secondes passent sans trouver le crépuscule sous lequel tu t’es réfugiée. À l’air libre, tu as grimpé en haut d’un haut conteneur qui contient des réserves d’eau pour les quartiers les plus “riches”. Ce n’est pas le lieu le plus proche de chez toi, mais c’est celui où tu es le plus isolée du reste de la ville, bien qu’à cette heure, les gens rentrent pour dormir, quand toi tu te lèves pour vivre.
Le soir tombant a embrasé les cieux et t’englobe dans un hâle rouge qui ferait presque briller tes cheveux longs, hirsutes et usés. Ça te donne une drôle de mine… comme si la lumière mettait en valeur la jeunesse de tes traits et la fragilité de ton corps fin, tout en te nimbant d’une couleur proche de l’hémoglobine que tu as fait tant couler. Oui, c’est peut-être ça, la lumière te montre, ce soir, tel que tu es vraiment. Frêle et assassine.
« C’est ainsi que, le troisième jour, je connus le drame des ba-baboabs… nan, baobabs. Baboabs ! »
Ta voix claque un peu plus fort alors que tu répètes ce mot que tu as réussi à déchiffrer par toi-même, comme une victoire sur la vie. Tu te redresses un peu, écartes tes yeux du vieux livre que tu as retrouvé dans un bâtiment lors d’une de tes expéditions. Sur tes lèvres, le dernier mot est articulé encore et encore, mais non, tu ne vois pas sa signification.
« Et bien sûr, personne ne peut me dire ce qu’est un baboab ! »
Encore une journée, qui pourtant semblait interminable, qui touche à sa fin. Qui ressemble à celle d’hier. Et celle d’avant-hier. Le même morceau de musique qui se joue en boucle, le même disque rayé. Il n’y a rien de nouveau. Ce n’est pas pire mais ce n’est pas mieux non plus. Ça en devient lassant. Bientôt, Nashawn est sûre qu’elle n’arrivera plus à différencier hier de demain. Ça lui pend au nez ; si ce n’est pas des mains (ou des dents) d’un marcheur qu’elle tombera, ce sera plutôt de folie.
De temps en temps, une bonne clope lui permet de remettre les pieds sur terre. Mais ici, ce ne sont que des rapaces ; guettant la moindre occasion pour venir taxer cet objet rare qui ne fera que raccourcir leur durée de vie. Nashawn ne partage pas ses cigarettes, surtout pas après avoir risqué sa vie dans des maisons à des kilomètres pour en ramener moins d’une dizaine. Personne ne doit mettre la main dessus (elle est déjà bien heureuse qu’on ne les lui a pas prises lorsqu’elle est revenue d’expédition) ; fumer au beau milieu du District équivaut à son arrêt de mort, pur et simple. Alors, elle s’était trouvée un petit endroit, isolé, où fumer tranquillement sans qu’on vienne la faire chier.
Enfin, c’est ce qu’elle croyait.
Une fois en haut du conteneur, le soleil couchant qui éclate ses rétines, Nashawn remarque qu’elle n’est pas seule. Se sentant déjà irritée en voyant la silhouette qui se découpe dans le paysage, elle était prête à redescendre sur le champ et se trouver un autre endroit ; mais le silence rapidement rompu le fit changer d’avis, intriguée. On ne la fait pas à l’envers, à Nashawn ; des enfants qui ne savent pas lire, elle en voit passer tous les jours. Certes, la fille qui occupe la place qu’elle convoitait n’a rien d’une enfant, mais elle garde tout de même un point commun avec eux.
Nashawn ne travaille pas avec les adultes. Mais le manque d’éducation scolaire la peine à un point qu’elle ne peut l’ignorer. En même temps, ce ne sont pas vraiment ses affaires. Elle ne peut juste pas s’en empêcher.
(Il fallait juste qu’elle pense à autre chose qu’à cette journée merdique.)
« C’t’un arbre. »
Le ton qui claque en écho dans le ciel. Nashawn plante une cigarette entre ses lèvres (enfin !) avant de l’allumer, secouant son briquet deux fois pour y parvenir.
« Ç’pousse qu’en Afrique » elle ajoute après avoir pris une longue taffe. « T’en trouveras pas ici. »
Et encore moins dans le désert du Nevada. Y’a rien, ici, pas un seul arbre, juste des petits buissons et des montagnes au loin. Mais Nashawn se plaît à imaginer que dans les grandes villes, là où plus personne ne vit, la nature a repris ses droits. Peut-être qu’ailleurs, il y a de la végétation. Mais le long désert autour d’eux l’ennuit à mort.
Y’a un monde où tu aurais pu simplement descendre de ton perchoir et aller dans une bibliothèque pour trouver la réponse à ta question. D’ailleurs, dans ce monde-là, peut-être que tu aurais sû lire et écrire un peu mieux que ça. Mais force était de constater, maintenant, que tu n’avais plus le droit de revenir en arrière. Et que tu ne saurais jamais ce qu’était ce foutu balboa…
« Ehh ! »
T’as sursauté, en entendant la voix dans ton dos, et si un instant tu cherches le poignard que tu trimballes avec toi en expédition, tes doigts n’attrapent que du vide. T’es pas armée… parce que t’es en ville. Et derrière toi, tu découvres le visage d’une jeune femme, qui vient de clairement répondre à ta question.
« Vraiment ? Ta tête se penche sur le côté, pour avoir une meilleure vue sur elle sans devoir te retourner complètement. Pourquoi y’en a pas ici ? »
Et voilà. Si t’es plus un enfant, tu as visiblement leur potentiel en intelligence et en curiosité. Tu ne fais pas peser plus longtemps tes yeux sur la jeune femme et tu les reposes sur la première ligne du chapitre que tu viens à peine de commencer. Cette fois-ci, comme mal à l’aise à l’idée qu’on puisse t’entendre, tu articles les mots de tes lèvres, mais sans faire sortir de son. Tu sais quoi, Theresa ? T’as honte.
« Tu en as déjà vu ? Tu reprends tout à coup alors que la fumée de la cigarette vient chatouiller ton nez et te tire une grimace silencieuse. Des baobabs, je veux dire. Comment tu sais que ça existe, sinon ? »
Et voilà le grand drame de ta vie. Tu es limitée, et tu te demandes si les gens qui en savent plus que toi ont pu voyager dans le monde entier. S’ils se sont arrêtés à côté de toute chose et on dit : “ça, c’est un xxx”. Alors que toi, tu n’as connu que la cité et l’enfer.
Ah merde, elle lui a fait peur. Mais la frayeur est bien rapidement oubliée face à une certaine curiosité. Une curiosité qui lui fait penser à celle des enfants qui squattent sa petite maison lorsque c’est l’heure des cours. Décidément.
Une nouvelle taffe et Nashawn hausse les épaules.
« J’sais pas moi. C’comme ça. »
Elle a beau être professeure improvisée, elle est plutôt spécialisée dans le français et les mathématiques. Pas la faune et la flore – de toute manière, ce serait inutile. Les pauvres gamins auraient des étoiles dans les yeux en écoutant ses belles paroles sur les fleurs, les arbres, les chiens et les chats, tout ça pour ne jamais pouvoir en voir de leur vie. Juste des faux espoirs. Un sentiment que Nashawn déteste et refuse de donner aux gamins ou même à sa sœur. Ou bien à cette jeune femme, juste là.
Ça lui fait juste de la peine.
« Nan » (au moins, ça a le mérite d’être clair). « J’l’ai vu quand j’étais gosse, dans des bouquins. Dans des encyclopédies, des trucs du genre. À savoir si y’en a ici. »
(Ah, ce serait une bonne idée d’aller trouver un encyclopédie dans une maison abandonnée. Juste pour nourrir ses propres faux espoirs. Et peut-être des manuels de médecine pour Shawna – bien ça que, ce serait plus compliqué que le reste.)
Sa clope se consume trop vite. Ça la saoule déjà.
« Moi, j’suis personne. J’suis juste un nombre de plus dans c’District » elle hausse de nouveau les épaules. « J’m’appelle Nashawn. Et toi ? »
Nashawn se rapproche d’elle, plissant les yeux face au coucher du soleil. Le couvre-feu n’est pas loin et elle n’aura probablement pas le temps de traverser tout le District avant la nuit pour rentrer. Tant pis. Ce ne sera ni la première fois, ni la dernière fois.
« Tu lis quoi? »
Ça devient rare, les livres, ici. Il faut en profiter.
Ohlalala. Zen, rester zen Theresa. C’est ce que tu te dis aussi sec qu’elle te répond la phrase qui t’a toujours rendue dingue. “C’est comme ça”. C’est exactement ce qu’on lui a servi quand elle était gamine. Pourquoi le grand frère de Sean est mort en bas de l’immeuble ? Pourquoi faut être bon en maths ? Pourquoi on va au sud ? Pourquoi vous pleurez ? Pourquoi les marcheurs veulent manger les gens ? C’est comme ça. C’est pas une réponse ! Jamais tu ne répondras ça à quelqu’un, tu te le jures à ce moment-là !
« Mouais. T’es sceptique et vu que t’as un sale caractère, tu le fais bien sentir. P’t’être que l’Afrique a pas la même terre qu’ici ? P’t’être que ça pousse pas dans la terre, mais dans le sable ? »
Quoi, toi tu insistes ? Voyons, ce n’est pas ton genre. Tu te renfrognes en regardant ton livre, comme si la réponse allait sortir tout droit de là et puis tu relèves les yeux vers la fumeuse. Elle a l’air solitaire, elle aussi. En tout cas, elle a ce même truc que toi, au fond des yeux, qui peut hurler aux gens de la laisser tranquille. Sauf que toi, t’as jamais respecté le besoin des autres.
« T’as d’la chance. J’aimerais bien lire une encyclopédie… pis la Bible aussi. Bien entendu, tu ne te rends pas compte de ce que tu dis, et du fait que t’abandonnerais sûrement après 3 pages. Tu l’as déjà lue la Bible ? »
Ta fascination pour cette oeuvre est à peu près du même acabit que celle pour la zone 51 et les aliens, où tu es certaine qu'ils y sont retenus. Quelque chose de plus fort que l’humanité, qui aura des réponses à bien des questions. Les tiennes, de préférence, d’ailleurs. Et t’as si peu de culture que tu ne te rends même pas compte du blasphème que représente cette pensée.
« On est tous des anonymes en enfer, t’inquiètes. Theresa, moi. Pourquoi t’es aussi cultivée Nashwan ? D’ailleurs, il vient d’où ton prénom ? »
Pourquoi, comment, est-ce que, qui… Tu n’as que ça à la bouche. Tu regardes sa cigarette réduire de plus en plus alors que tes yeux clairs sont fixés dans un éclat dur, comme si tu essayais de percer le mystère de cette jeune femme. Et soyons honnêtes, tu veux vraiment percer ce mystère !
Sauf que la jeune femme te prend de cours en te renvoyant une question alors que le soleil se meurt. Tu es obligée de refermer le livre pour te souvenir du titre, et tu finis par le lui tendre en répondant.
« Le petit prince. Je l’ai trouvé en explorant une maison. La couverture est jolie, alors… je voulais essayer de le lire. Tu as ce sourire un peu dur, avant d’ajouter. C’est relativement long avec moi, malheureusement. »
Merci les cours, que tu as à peine suivis. Et puis avec les traumatismes et l’infection, lire et écrire est devenue si peu utile que tu as juste laissé tomber pour l’effacer en partie de ta mémoire et utiliser cet espace pour apprendre à survivre.
Re: Usque ad summum. ft Nashawn Dim 13 Oct - 15:41
ft. Theresa
la douceur des couchers de soleil
Nashawn a une bibliothèque minuscule, à la maison, entre les lits et la gazinière. Des livres pour enfants, surtout, des livres aux coins écornés à force d’être manipulés encore et encore par des petites mains maladroites, où de nombreuses phrases et mots sont soulignés ou griffonnés pour tenter d’apprendre leur prononciation. Des livres qui ont du vécu. Des livres que Nashawn n’aurait jamais osé détériorer ainsi si elle n’était pas obligée. Ça lui fait presque bizarre de voir un livre en aussi bonne condition, tant elle est habituée à ceux abîmés qu’elle a l’habitude d’utiliser.
« Mes parents l’ont lue. Moi, j’en ai connu quelques versets seulement, à l’église » elle tire une longue latte sur sa cigarette. Nashawn déteste se souvenir de sa vie d’avant, mais elle ne peut s’empêcher de voir à nouveau l’église où ses parents la menaient tous les dimanches. Malgré les nombreux versets et chants entendus durant la messe, elle en a oublié la plupart et ne saurait en réciter aucun. « Mais j’m’en souviens pas trop. C’pas rare d’en trouver, presque tout le monde en avait une chez lui, il suffit de bien chercher. »
Nashawn hausse de nouveau les épaules. Finalement, elle s’assied à côté d’elle, écrasant sa clope au sol avant de lancer le mégot au loin. Theresa, c’est un joli nom, ça roule tout seul sur la langue. Il n’y a pas de syllabes grossières ou sur lesquelles on bute, ou d’association de lettres étranges comme dans le sien ou celui de sa petite sœur.
« J’sais pas, j’étais pas une très bonne élève en cours, en plus » elle lance un regard au loin. « Mais comme j’éduque les gamins d’ici, j’ai appris d’autres trucs en cours de route, des choses qu’on apprendra plus et qui nous serviront plus. Maintenant, ça sert juste à s’la péter » Nashawn passe une main dans ses cheveux, regrettant déjà sa cigarette terminée trop rapidement. « Et mon prénom, j’sais pas vraiment. Mes parents m’ont jamais dit. »
Ou alors, elle l’a tout simplement oublié. Comme la plupart des choses à propos de ses parents. C’est dommage.
« Il est plutôt bien, comme bouquin. J’l’ai, chez moi, il est assez connu apparemment » un petit sourire se dessine sur ses lèvres devant l’innocence de la jeune fille. « C’pas grave d’être lent. Chacun à son propre rythme. Si t’veux, j’peux t’aider. J’fais ça tous les jours. »
Oui, mais ça reste différent. Ce sont des enfants, là, elle n’est pas aussi jeune. Et peut-être que la traiter comme une enfant de lui fera pas énormément plaisir non plus. Nashawn sait que, elle, ça la rendrait folle qu’on l’a traite comme une gamine. Mais en même temps, ce n’est pas la première fois qu’elle croise un adulte qui ne sait pas lire. Les plus jeunes d’ici sont souvent dans ce cas, malheureusement.
« T’as pas pris le livre le plus simple, en tout cas. On dirait qu’c’est un livre pour gosse, mais pas vraiment, au final. Il y a beaucoup de mots compliqués » c’est l’un des défauts des livres qui datent. Mais de nos jours, trouver des auteurs modernes… c’est une autre histoire. « J’en ai quelques-uns à la maison, des bouquins. Ils sont un peu abîmés mais ils sont toujours lisibles. »
Peut-être que ça pourrait l’intéresser. Qui sait ?
Re: Usque ad summum. ft Nashawn Mer 16 Oct - 12:40
Usque ad summum.
Nashawn & Theresa
Dès que tu lances la conversation sur la Bible, tu ne peux pas t’empêcher d’être plus là, plus intéressée aussi. Lentement tes mains viennent refermer le livre sans marquer ta progression (de toute façon, elle est si lente que tu n’oublies pas où tu en es) et tu relèves la tête plus haut, vers elle. Ses parents l’ont lu, elle en a lu quelques morceaux (si verset veut dire morceau) et toi, tu sens cette petite pointe de jalousie.
« Je sais, j’en ai déjà vu, mais j’dois ramener des choses utiles pour manger. Personne n’veut de ce bouquin et ça m’fait pas manger. Puis… c’était écrit tout petit dedans, jamais j’pourrai lire ça pour l’moment. Sauf que voilà, Theresa, toi, t’as toujours une idée derrière la tête. C’est à force d’idées qui se répondent les unes, les autres que tu as survécu si longtemps. Mais… Si j’la trouve et que j’la ramène, tu pourrais m’en lire des morceaux ? »
Ah bah oui, à défaut de savoir lire, tu sais écouter. Et vu que Nashawn ne t’a pas envoyé bouler directement quand tu as parlé de Bible, tu te dis qu’elle doit faire partie de ces gens qui y croient ? En tout cas, c’est comme ça que tu vois la chose. Ceux qui y croient, ceux qui n’y croient pas. Y’a pas de milieu de cette histoire… et tu n’imagines même pas à quel point cette dualité est forte quand on parle de religion.
« Moi non plus j’étais pas bonne. Mais genre vraiment pas. Tu as un rictus amusé, fatigué aussi. J’crois que ma dernière année, j’ai du plus souvent être punie qu’être en cours. Là où j’vivais, l’école, ça ne servait à rien. J’le regrette maintenant. »
Et sortez vos stylos, parce que Theresa regrette quelque chose. Ce n’est pas souvent que tu émets ce genre de remarques. Tu es bien trop dans le moment venu, dans l’instant T, pour ne pas regretter les choix que tu fais. Et puis, si tu venais à le faire, tu te trouverais des excuses, mais pas là.
Tu cesses de ruminer ça quand la jeune femme vient s’asseoir près de toi, et en silence tu suis même le mégot jeté, alors que dans ton corps, il y a l’envie d’en savoir plus et la crainte du rapprochement physique. Pourtant tu cèdes à la curiosité quand elle continue de te parler d’elle et des livres.
« Tu apprends aux mioches ? T’as du courage… ou de la patience, je sais pas. Tes lèvres se pincent, hésitent et tu profites qu’elle te propose son aide pour marmonner. J’veux bien. Ça m’fait chier de devoir demandé un coup d’main, mais je préfère être ridicule et savoir lire. Tu tournes la tête et tes yeux bleu trop clair s’accrochent aux siens. Mais j’sais pas si j’peux te payer pour ça. J’peux peut-être ramener quelques trucs en sortie, mais… j’ai rien d’plus. »
Et tes sourcils se froncent, te donnant une mine bien plus vieille, marquée d’une fatigue qui n’existe que sur le visage des survivants, de ceux qui ont vécu l’apocalypse et continuent à respirer autre chose.
« C’est l’image de couverture qui m’a donné envie. Le livre était… beau. Mais je savais pas si ça serait dur et maintenant je veux le finir. Et tu hésites, parce que tu viens d’avoir une idée, de paiement, mais tu ne sais pas si ça vaut vraiment l’échange. Si… Si tu veux quand je l’aurais fini, j’pourrais te le donner pour les gamins ? »
Re: Usque ad summum. ft Nashawn Mer 30 Oct - 14:21
ft. Theresa
la douceur des couchers de soleil
Mais en même temps, parfois, il est compliqué de trouver des livres pour enfants qui ne prennent pas le lecteur pour un débile. Nashawn l’a remarqué : un enfant n’est pas idiot, il n’a pas toutes les cartes en main mais ça ne l’empêche pas de comprendre certaines choses. Et c’est ce que Nashawn déteste dans les bouquins pour gosses : on a l’impression d’être stupide. Et les autres livres sont beaucoup trop compliqués. Il est dur de trouver un entre-deux et souvent, les livres de Nashawn ne sont pas totalement adaptés pour les gamins qui squattent chez elle. Tant pis, de toute manière, elle est là pour leur apprendre, autant mettre la barre un peu plus haut… (A-t-elle vraiment le choix, de toute manière ?)
« D’la patience, pas vraiment. C’est surtout qu’les gosses sont plutôt calmes, ça aide » (est-ce un sourire qui étire ses lèvres ? Si rapide qu’on ne peut en être sûr. Mais Nashawn est loin d’être patiente, c’est plutôt le contraire… mais étrangement, avec les enfants, ça se passe toujours bien). « Bah, j’en demande pas énormément. Pour moi, ç’devrait être gratuit pour tous. Après tout, l’école a été faite gratuite, alors autant continuer dans ce sens-là. Au pire, c’pas grave, j’te fais ça gratuit et si vraiment t’veux payer, t’pourras le faire plus tard. »
C’est vrai, pour elle, l’éducation, ça n’a pas de prix. Surtout savoir lire. Mais elle ne doit pas perdre de vue qu’ici, c’est la survie. Certes, elle fait l’impasse pour les enfants car ils sont bien trop importants pour elle, mais elle ne pourra pas éternellement donner de ses services gratuitement. Surtout qu’elle n’est pas seule à la maison. Et puis, contrairement aux enfants, Theresa sait probablement se débrouiller pour dénicher des bibelots intéressants à revendre sur le marché. (Ah mais pour Nashawn, ça devrait rester gratuit… c’est juste une question de morale…)
« Ouais, souvent c’est ça, une couverture moche ça donne pas envie d’lire. Mais on dit souvent d’pas juger un livre sur sa couverture, même si on dit ça pour parler des gens » un petit rire, un peu amer, s’échappe de ses lèvres. « Mais c’quand même cool que t’aies pas abandonné en voyant que c’était plus dur que prévu. Y’en a qui auraient laissé tomber pour moins qu’ça. »
(Elle se souvient de la déception de nombreux enfants qui n’y arrivaient pas du premier coup. Du bon nombre d’entre eux qui baissent les bras. Ou qui ne comprennent pas à quoi ça va leur servir dans ce monde, finalement.)
« Ouais, franchement ce serait super sympa pour eux ! Surtout d’avoir un livre en bon état… » elle grimace en repensant aux bouquins usés sur ses étagères. « Et d’avoir une histoire nouvelle. C’est devenu une plaie de trouver des livres par ici, ils lisent toujours l’même chose, malheureusement. »
Et ça devient lassant. Comme la vie ici, au final.
« S’tu veux, demain matin y’a les gosses qui viennent chez moi » elle se tourne vers Theresa, sans vraiment la regarder. « Si ça t’intéresse d’être avec eux. Sinon, on peut faire ça qu’à deux, ça m’dérange pas non plus. »
C’est sûr que Nashawn est beaucoup plus habituée à travailler en groupe plutôt qu’en face à face. Et ça n’aura rien à voir avec ce que font les enfants, forcément. Mais apprendre en s’amusant avec les gosses, ça peut être intéressant aussi. Elle ne fait que proposer. Même si elle est beaucoup plus maladroite avec les adultes, ça ne coûte rien d’essayer. Et puis, si elle peut rendre service à d’autres que les enfants dans ce District, autant saisir l’occasion…
« Des gamins calmes… Ça existe ça ? Tu railles, sans pouvoir te retenir. À tes yeux, les mômes, ça crie, ça piaille, ça se bat, mais non, ça n’a rien de calme. J’veux pas avoir une dette, même si tu m’dis que tu veux bien le faire gratuitement. Je te payerai avec ce que je trouverai, alors. Des livres, si je peux. Pis des babioles pour faire tes cours. »
Et bien, que voilà, Theresa ? Tu as vraiment envie à ce point d’apprendre, que tu es prête à donner gratuitement ce que tu ramasses dehors à cette fille ? Visiblement, c’est bien le cas, oui. En tout cas, tu n’as pas l’air de vouloir en douter ou y réfléchir plus maintenant. Peut-être… peut-être que quand tu seras devant le fait accompli, ça te fera chier et que tu arrêteras, mais là, sur le coup, ça te semble un bon deal.
En tout cas, tes yeux se reposent sur la couverture et tu hoches la tête, parce que ouais, c’est vrai qu’elle est jolie cette couverture. En tout cas, toi, ça te donne envie de le lire. Par contre, quand la jeune femme vient parler d’une allusion aux gens, tu relèves les yeux vers elle et là, tu lui offres une vue complète de ta stupidité et de ton ignorance.
« C’est quoi d’ça encore ? Pourquoi les gens seraient jugés sur la couverture des livres ? C’est un peu con non ? »
Ah bah oui, ma pauvre, t’as pas été éduquée, et déjà que t’as pas les lumières à tous les étages, alors tu risques pas de pouvoir faire toi-même le lien entre sa phrase et ce que l’on fait avec les gens. C’est trop complexe pour toi, Theresa, tu risquerais de te faire mal à la tête.
« Alors je te le donnerai. j’espère que ça plaira à tes gamins. Tu as un sourire, enfin. Parce que dans le fond, tes pas une fille méchante, t’es plutôt contente de pouvoir faire plaisir à des gens avec un truc aussi con qu’un livre. Mais pour les histoires, tu peux pas en inventer, toi ? Ou trouver des gens qui savent en raconter ? Ça pourrait compenser l’absence de nouveau livre, non ? »
Si l’idée n’est pas complètement con, tu n’imagines pas un instant les ressources qu’il faut pour inventer une histoire. Déjà que quand tu mens c’est pas brillant, alors pour trouver un récit qui se tienne de A à Z pour des mômes, c’est une autre affaire.
Puis elle te parle de son cours du lendemain et tu la regardes avec la tête qui penche sur le côté. Tu réfléchis à la proposition, en vérité. Tu pourrais accepter, c’est certain, mais tu vois, Theresa, t’es un peu trop sauvage toi. Alors tu finis par marmonner.
« Nan, j’dors demain. Pis j’suis pas patiente, j’risquerais de leur faire peur à tes p’tits. Tu fais une moue un peu flippante, tout en rajoutant, comme si c’était la chose la plus normale qui soit. Ça l’ferait pas si j’en zigouille un parce que j’suis mal lunée. »
Ouais, p’tite fille, c’est clair que ça ne le ferait pas. Tu ramènes tes yeux sur le ciel, sans même avoir l’air de regretter ce que tu viens de dire. Tu ne te rends pas compte, comme toujours.
« On peut faire ça ici, le soir quand tu veux. Ça sera plus facile. »
Re: Usque ad summum. ft Nashawn Dim 24 Nov - 19:58
ft. Theresa
la douceur des couchers de soleil
Mais en même temps, travailler autour d’enfants, ça peut être contre-productif. Nashawn l’a proposé parce qu’elle n’est pas quelqu’un qui porte de trop grandes attentions à son entourage, autre que sa famille. Et disons qu’il est plus simple pour elle de travailler entourée d’enfants ; ils la calment un peu, assez pour ne plus être aussi agressive et avec si peu de patience. Parce qu’elle le sait : quand ils n’y arrivent pas, quand ils abandonnent, ça l’énerve. Tout l’énerve. Mais ce sont des enfants et Nashawn ne peut se résoudre à les engueuler comme elle le ferait avec un adulte.
Et elle sait que sa patience ne tient qu’à un fil. Au fond d’elle, elle sait à quel point cela pourrait être compliqué d’enseigner à Theresa. Peu importe si elles s’entendent bien ou non.
« Bah, t’inquiète » elle hausse les épaules. Elle le sait, qu’elle pourrait se faire une petite richesse en faisant payer les gamins. Mais c’est totalement immoral, de son point de vue. « S’tu veux, ma sœur bosse à l’hôpital, s’tu trouves des trucs médicaux, ça pourrait être cool aussi. »
(Nashawn ne s’y connaît absolument pas en médical, malgré ses nombreux séjours sur l’un de ses brancards miteux. Elle pourrait trouver une seringue dehors et la ramener à sa sœur en pensant que ça pourrait lui être utile… Même si Shawna lui en parle souvent, elle ne sait pas à quoi ressemble tout ce dont elle a besoin, ou ce qui pourrait lui être utile. Peut-être que Theresa le sait.)
« Nan, c’pas vraiment ça » et Nashawn en fait partie. Ironique. « T’sais, certaines personnes ne font confiance qu’à des personnes jolies ou des personnes qui lui plaisent. Des trucs du genre. Un mec qui va avoir une tête de détraqué, ils vont même pas vouloir lui parler. C’t’une allégorie, la couverture du livre, c’est l’apparence des gens. C’comme si tu disais qu’un livre très moche renfermait la meilleure histoire que t’aies jamais lue et un livre très beau n’était qu’un ramassis de merde… »
Mais Nashawn ne nie pas vraiment juger les gens sur les apparences (et pas que). Surtout pour les fréquentations de Shawna – elle serait capable de lui interdire de traîner avec un mec juste parce que celui-ci à une tête de meurtrier. En même temps, avec toutes les horreurs qui les entourent maintenant, ce ne serait pas étonnant de tomber sur des types qui n’ont plus toute leur tête.
« J’suis pas bonne pour inventer des histoires, j’ai pas trop d’imagination » et puis, elle n’a jamais la tête à inventer des contes de fées, même pour les enfants. Nashawn a trop les pieds sur terre, ancrée dans sa réalité, pour imaginer autre chose que tout ce sang qui les entoure. « Puis j’sais pas si des gens ici ont le temps de raconter des histoires… et j’fais pas trop confiance. »
Toujours des excuses pour éviter les interactions sociales. Nashawn, elle aussi, n’a pas de temps à perdre avec ça.
« OK, ça me va » elle hoche la tête en posant son regard sur Theresa. « T’façon, j’me disais que ç’aurait été compliqué de bosser avec les gamins, c’est pas du tout la même chose. T’es libre quand ? Moi j’suis presque toujours libre en soirée, donc c’est quand tu veux. »
Mais en même temps, Nashawn a perdu sa notion du temps. On pourrait lui donner un rendez-vous la semaine prochaine qu’elle ne saurait même pas quand c’est… Les semaines existent-elle toujours ?
« Il te suffira juste de ramener ton livre, j’en ramènerai un aussi. Et du papier et un stylo, ça peut être utile. Faudra p’têt juste se donner rendez-vous plus tôt, le soleil tombe vite et on aura pas beaucoup de temps avant qu’il fasse nuit… »
Car oui, la nuit commence lourdement à tomber. Les derniers rayons du soleil se font timides avant de disparaître finalement derrière l’horizon. Comme un air de nostalgie.
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