la mécanique pour les nuls - ft tiago

Tu ne l'as pas depuis très longtemps, ce camion. Un truc qu'on t'a cédé, parce que l'ancien propriétaire a préféré le confort d'une cabane, ce qui peut se comprendre. Même si parler de confort est relatif, il ne faut pas se voiler la face. Toujours est-il que ça t'arrange, toi. Plus proche de la sortie, malgré l'odeur qui témoigne de ce fait, ça te fait toujours ça de moins à parcourir comme distance en rentrant de tes escapades. Un miracle, d'ailleurs, que tu ne te sois toujours pas fait mordre ou chopper par quoi que ce soit. Mais pour l'instant, ça te va. Et pour l'instant, t'as pas le choix que de penser à autre chose qu'à ça. Parce qu'en ouvrant la porte coulissante du camion, qui a fait un bruit sorti tout droit des Enfers, t'as perdu tout espoir de pouvoir te poser tranquillement dans un lit. Camion aménagé, qu'il disait, hein. Si tu pouvais, tu porterais plainte pour publicité mensongère. On parle pas de camion aménagé quand il ne s'agit que d'un matelas à moitié moisi posé sur une planche à demi-pétée. Il y a bien les installations, oui. Tu vois les vestiges de ce qui a été un jour un joli petit chez-soi. Mais ça va te demander pas mal de travaux avant de rendre ça véritablement habitable. Et tu commences à comprendre pourquoi le type n'a pas trop cherché à troquer quoi que ce soit contre le camion. Juste l'assurance d'avoir un truc habitable.

Tu lui as cédé ta cabane parce que t'étais plus capable d'habiter dedans. Plus depuis la mort de Bernadette. T'aurais peut-être juste dû vérifier l'état de la carcasse métallique avant de te dire que c'était un échange équitable. C'est clairement pas équitable, mais il ne te reste que tes soupires pour le constater, maintenant. Parce que tu as la flemme de retourner voir l'autre type. Tu sais que ça ne mènera à rien, le deal a été fait, tu aurais dû être plus prudente. Franchement, tu n'es pas du tout en mesure de tenir tête à qui que ce soit, et tu en as conscience. T'es peut-être rapide, mais c'est pas ton mètre cinquante-deux qui va impressionner qui que ce soit. T'as ta tête, il fallait t'en servir avant, maintenant c'est bien trop tard. Alors sèchement, tu balances un sac qui contient toute ta vie, toutes tes affaires. Un sac à dos pour l'intégralité de ta vie, c'est tout ce dont tu as besoin. Et tu montes dans le camion, histoire de déblayer un peu le bordel. De voir l'étendue réelle des dégâts. L'ancien propriétaire n'avait visiblement pas beaucoup d'estime pour les choses qui lui appartenaient, en témoigne l'état de délabrement de la cabine. Nouveau soupire. Tu lèves les yeux au sol, et tu t'actives. Jusqu'à finir par réaliser que tu n'arriveras pas toute seule à remettre tout ça en état. T'as pas les compétences nécessaires pour te lancer toute seule dans la rénovation d'un camion. Encore moins avec les moyens que vous avez ici.

Alors, tu fais ce que tu détestes faire. Tu sors de chez toi et tu parles à des gens. Mais l'ironie, Callie, c'est que tu n'avais besoin que de faire cinq mètres pour trouver la personne capable de t'aider. On a fini par te le dire, par t'indiquer l'épave de van pas si loin de ton camion. Une ironie que tu trouves irritante. Tu toques là où tu peux toquer, doucement, poussant un petit « Excusez-moi ? » presque trop discret, te tenant droite quand tu te trouves face à un interlocuteur. « Bonjour, je suis désolée de vous déranger. Je suis votre nouvelle voisine. Callie. » Tu lui tends la main. Peut-être que tu l'as déjà vu, ce ne serait pas non plus si étonnant. Mais t'es sûre que c'est la première fois que tu lui parles. « On m'a cédé ce camion, récemment. Sauf que l'intérieur est vraiment en mauvais état. On m'a dit que vous pourriez peut-être m'aider. » Tu ne t'attardes pas sur des détails autres. Tu essaies d'aller à l'essentiel, de parler aussi peu que nécessaire. Tes bras finissent par se croiser, ton regard trop clair fini par se poser sur le visage de l'homme en face de toi, ton expression trop neutre parvenant à cacher ton agacement. Tu ne diras rien de plus. Tu attends.  

Quelques coups portés sur la carlingue du van alertèrent son propriétaire. Même si l'inconnu(e) s'était annoncé(e), il ne prit pas de risque et glissa son couteau de chasse à sa ceinture avant d'ouvrir la porte coulissante, devant rester courbé pour ne pas se cogner à cause de sa grande taille. Surpris, il vit une jeune femme, seule, qui le salua et s'excusa de son interruption.

« Bonjour, je suis désolée de vous déranger. Je suis votre nouvelle voisine. Callie. »

Il serra la main qu'on lui tendit alors qu'elle enchaînait sur une requête, visant à retaper le camion de son ancien voisin. Il jeta un œil à côté puis, suspicieux, reporta son attention sur la jeune femme. Elle était en robe, plutôt mignonne quoique l'air assez froid, distant, comme un petit chat prêt à vous griffer si vous l'acculez, du moins c'était là son a priori.

"Enchanté Callie, moi c'est Tiago."

Il continuait de l'observer, cherchant une éventuelle menace de sa part. Sait-on jamais, les voleurs et les assassins ne reculaient plus devant rien pour te mettre à bas, alors même sans devenir parano, il préférait ne pas baisser sa garde. Pas complètement du moins.

Il ne remarqua aucune arme sur elle. Soit elle les cachait bien, soit elle était du genre à esquiver les ennuis plutôt que de les affronter, soit autre chose dont il n'avait pas idée.

Il jaugea la situation. Ce jour-là, il avait prévu de faire sécher et fumer la viande des rats qu'il avait tué ces trois derniers jours, pour avoir des réserves. Yen avait déjà deux trois qui étaient presque prêts. Le camion était juste à côté, il pourrait surveiller son coin de temps en temps pour dégager les voleurs éventuels, sauf s'ils devaient aller chercher les pièces au marché.

En son absence, on pouvait très bien lui chiper ses futurs repas et ça ne lui plaisait pas. Cette fille pouvait très bien œuvrer seule tout comme elle pouvait faire partie d'un groupe de bandits. Si cette fille essayait de l'entuber, se dit-il, c'est elle qu'il fumerait et qu'il ferait sécher. L'idée ne lui plaisait pas spécialement, mais œil pour œil... Enfin, loin de se laisser embrouiller dans des suspicions pour lesquelles il n'avait aucune piste réelle, il chassa cette éventualité (pas trop loin quand même) et farfouilla dans son van avant d'en sortir avec une caisse à outils sale mais fonctionnelle. Au vu du bruit et de son poids lorsqu'il la posa à côté de lui, elle était assez complète. Il sauta de son van et se planta devant elle, mains sur les hanches.


"T'as de quoi le retaper ou on part de zéro? Je fais pas ça gratos, par contre. Un service contre un service. Deal?"

Il était curieux de savoir contre quoi elle avait récupéré ce camion, mais ils auraient tout le temps d'en discuter si elle acceptait.[/center]

Ça aurait pu te faire sourire, ce géant qui te regarde suspicieusement, comme si tu pouvais être une menace pour lui. Il te dépasse largement, pourrait te maîtriser en un claquement de doigts s'il le décidait, et pourtant tu remarques sa tension sans la mentionner pour autant. Oh, ça te picote bien les lèvres de lui faire remarquer qu'il n'aurait légitimement pas grand chose à craindre de ta carcasse, mais ça t'amuse bien plus de le laisser croire que ça puisse être le cas. Il se présente néanmoins. Tiago. L'information est stockée quelque part dans ton esprit, avec les informations potentiellement utiles un jour, mais tu te contentes d'acquiescer en serrant sa main. Maintenant que ton problème est exposé, tu ne vois pas grand intérêt à rajouter et enrober la conversation de quelques mots superflus. La vraie question restant de savoir s'il t'aidera, ou non. Alors qu'il t'observe, tu l'observes en retour. Grand. Tatoué. Percé. À côté de lui, coincée dans ta robe, plantée droite sur tes pieds, tu sembles sortir tout droit d'un autre univers que le sien. La pensée t'amuse, elle aussi, mais aucune trace d'amusement ne se peint sur ton visage. La neutralité habille le moindre de tes traits, seul ton regard semble avoir une lueur de vie.

Tiago repart dans son van, en ressort à nouveau avec une caisse à outils bien trop lourde pour toi. Il t'aidera donc, visiblement. Il pose ses questions et ses conditions, tu acquiesces à nouveau. « Bien sûr, c'est normal. » réponds-tu, tout simplement. Un service contre un service, c'est le minimum. Ici, la charité n'est plus qu'un concept lointain et foireux, rares sont ceux qui la pratiquent. Tous cherchent une contrepartie, quelque chose à gagner à aider son prochain. Le contexte veut ça, naturellement, et ça te semble tout à fait légitime. « Je n'ai vraiment rien du tout. L'ancien propriétaire du camion me l'a laissé tel quel... et on ne peut pas dire qu'il était très soigneux avec ses affaires. » Euphémisme presque teinté d'ironie. Tu lui fais signe de te suivre pour pouvoir lui montrer l'étendu des dégâts. Quelques pas suffisent pour arriver devant la porte coulissante de ton nouveau chez-toi. Porte qui coulisse à nouveau dans un bruit infernal, avant que tu ne te mettes sur le côté pour laisser Tiago constaté par lui-même le désastre que constitue ton habitation. « La seule chose encore réutilisable a l'air d'être le matelas, et encore. Pour le reste, je vais avoir besoin d'aide pour réaménager le camion dans sa globalité. Je n'y connais vraiment rien en construction et en mécanique. Alors ton prix sera le mien. »

Ton regard glissant à nouveau sur le grand bonhomme à tes côtés, tu ajoutes également, d'un ton presque plus léger « Et je ne suis pas un danger, je préfère la fuite en cas de conflit, je ne vais rien te voler, tu n'as pas besoin d'être suspicieux. Quitte à vivre si proche l'un de l'autre, autant partir sur une base de confiance réciproque, non ? » Autant faire ça, car vous allez visiblement être amenés à vous croiser très régulièrement. Et il deviendrait invivable de devoir être constamment sur vos gardes en présence l'un de l'autre.