Comme chien et chat | Kelsier

J’ai pas la tête sur les épaules. Vraiment pas. Quelle idée de boire de l’alcool alors que je ne le fais jamais à l'accoutumée ? Mon corps, par manque d’habitude sans doute, ou de résistance tout simplement, réagit au quart de tour. D’abord les paroles peut-être un peu trop sincères, puis les actes que je ne me serais pas permis en temps normal, et enfin le mal de crâne à en tuer un infecté. Après notre soirée beuverie, je suis finalement resté dormir chez Theresa. J’ignore ce qui est le pire : me souvenir d’absolument tout ce qu’il s’est passé et avoir tout le loisir de regretter ou non, ou bien être resté dormir chez elle et s'être parlé aussi sincèrement. Jamais cela ne serait arrivé en temps normal, sans l’aide de l’alcool et de la fatigue.

J’ignore si la Luciole se souvient de ce qu’il s’est passé. Je suis parti avant qu’elle ne se réveille, lui laissant un petit mot agréable sur un morceau de papier déchiré. « Tu ronfles ». Je ne sais tellement pas quoi faire de tout ce qu’il s’est passé hier soir que je préfère l’ignorer. Ne pas en parler avec la principale concernée. C’est lâche mais je tiens tellement à conserver ma relation actuelle avec Theresa que j’agis de la sorte. Entre nous deux, je sais qu’il n’y aura jamais rien, et je ne veux pas que la jeune fille se sente mal à l’aise avec tout ça.

Je suis partagé. D’un côté, j’aimerais qu’elle se souvienne de ce que nous nous sommes dit et confiés. De cette façon, elle saura qu’elle compte pour moi et que les piques que je lui envoie sont ma façon de savoir comment elle va. Je m’adapte juste à sa façon d’être. Mais de l’autre côté, qui me dit que c’est une bonne chose qu’elle se souvienne de tout ça ? Est-ce que ça ne va pas changer du tout au tout notre relation ? Je ne l’espère vraiment pas. De tout coeur. Theresa est vraiment une amie précieuse pour moi et je refuse de la perdre juste à cause d’une soirée arrosée.

Après avoir refermé la porte de l’appartement de mon amie et m’être retrouvé dehors, je passe ma main dans mes cheveux, comme si ce simple geste allait enlever mon mal de tête, avant d’enfiler ma casquette. L’air frais me fait du bien et je pense qu’un seau d’eau glacé serait aussi le bienvenue. Perdu dans mes pensées et ma gueule de bois qui me rappelle mes excès d’hier à chaque pas, c’est à peine si je prête attention à ce qu’il y a autour de moi. Je fais exactement l’inverse de ce dont j’ai l’habitude, préférant être constamment aux aguets, apocalypse oblige.

Si je retrace les évènements, c’est de la faute de Theresa si j’ai bu ces verres. C’est elle qui était en isolement. Mais… C’est moi qui me suis inquiété. Qui l’ai attendu devant chez elle pendant des heures. Par conséquent, c’est de ma faute si je percute ce type. Pas celle de Theresa, pas celle de mon état, la mienne.

- Désolé.

Puis je continue ma route aussi lentement que je l'ai commencé, sans même faire attention à la personne que j’ai percuté sans le vouloir. J’ai bien trop hâte de rentrer chez moi et de trouver un moyen de me réveiller définitivement.

Je n’aurais pas dû m’arrêter. Il n’y a que Gareth pour me donner des ordres. Mais mon esprit est bien trop embué pour que je réfléchisse correctement. C’est mon corps qui agit de lui-même, avant  même que je n’y pense. Je m’arrête donc, comme me l’ordonne le type que je viens de percuter. Je me tourne vers lui et cherche à savoir qui c’est. Je l’ai déjà vu. Et son physique particulier est inoubliable, même pour moi qui ai une gueule de bois.

J’ai oublié son prénom, mais je sais que c’est un milicien. Un des plus agaçant, qui plus est. Je ne sais pas vraiment ce que je lui ai fait, mais le peu de fois où nos chemins se croisent, il fait en sorte de me le faire regretter. Et à ce jeu là, je lui accorde le fait qu’il est particulièrement doué. Une fois son charabia déchiffré, je comprends qu’il me prend pour ce que je ne suis pas. Je n’ai ni la patience ni l’envie de lui expliquer qu’il se trompe. Bien au contraire, j’ai même envie de l’envoyer se faire voir, pour toutes les fois où il m’a pourri mes journées.

Je sais que c’est une très mauvaise idée. Je sais que je risque de me foutre dans un pétrin sans nom. Mais c’est bien trop tentant. Nous ne sommes que tous les deux, mon crâne et le petit démon sur mon épaule me soufflent que je ne dois pas me retenir face à cet idiot de milicien, même pas foutu de connaître les siens.

- Tu confonds tes hommes, imbécile.

J’aurais dû le vouvoyer, mais ça aurait indiqué une certaine forme de politesse et de respect envers lui que je me refuse d’avoir. Certes, je ne l’apprécie pas, mais pour le coup, c’est ce que je fais avec chaque milicien. Je reprends mon chemin, n’ayant aucune intention de le laisser me répondre méchamment ou qu’il me force à le suivre pour accomplir je ne sais qu’elle basse besogne dont il veut sûrement se débarrasser.