Aaron ou le prototype du mec sympa

L’aîné des trois enfants de la famille Lloyd, Aaron est né quatre ans avant son frère cadet David et quatorze avant sa jeune sœur Amy. Peut-être est-ce la différence d'âge avec son frère qui ne lui avait jamais permis de construire une relation réellement amicale avec lui, ou peut-être pas. En tous cas, il ne s'est jamais entendu avec son frère et ce dès la plus tendre enfance de David. Il n'avait pas cinq ans qu'il faisait déjà des crasses à son frère, le pinçant pendant son sommeil, jetant les jouets et doudous préférés de son frère. Cela lui valait des remontrances assez sévères, surtout de la part de sa mère qui surprotégeait David, son chère et tendre petit bébé. Oui, Aaron était simplement jaloux. Jaloux de l'attention qu'accaparait ce nouveau né, lui volant sa place d'enfant unique. Et en fait, cet état de fait n'évolua jamais.

On serait en droit de se dire que cette attitude d'un petit enfant jaloux finit par passer, que ce sentiment d'injustice à l’arrivée d'un petit frère s'estompe pour laisser une place à la camaraderie fraternelle et aux jeux d'enfants... Mais non ce n'est pas le cas. Cette espèce de détestation sourde et profonde de Aaron envers son plus jeune frère, cette jalousie qui le tenaillait ne l'a jamais quitté. Il perpétua ses sales petites habitudes et crasses à l'encontre de son frère durant toute leur enfance. Il le frappait, l'humiliait publiquement quand il le pouvait devant ses amis en racontant des détails humiliants.

Mais le pire, c'est sans doute la choix où il envoya son frère directement à l’hôpital en le poussant d'un peu trop haut. David porte aujourd'hui encore la cicatrice sur son épaule. Mais pire encore fut la fois où il ne fit rien après avoir poussé son frère à se jeter à l'eau dans le lac après l'avoir poussé à bout en le traitant de poule mouillée. Cette fois, ça l'a particulièrement choqué par ce que ce n'est pas sa mère qui l'a pourrit pour une fois mais son père qui lui dit quelque chose qui le travailla jusqu'à la mort de son père. Son père lui dit : « Tu n'es pas mon fils ! » Cela pouvait simplement dire qu'il avait été indigne d'être son fils sur le coup. Mais non. Aaron sentit en son cœur de jeune ado de 12 ans que ces paroles voulaient dire plus que ça.

Et honnêtement, le sentiment d'injustice que ressentait Aaron ne venait pas de nulle part. En effet, il recevait moins d'attention que son frère, surtout de leur mère qui clairement avait son préféré. Leur père au moins tentait de maintenir l'illusion qu'il n'y a pas de préféré mais ça ne suffisait pas. Aaron avait souvent l'impression qu'il n'était pas désiré et qu'il était un intrus dans cette famille.

Et évidemment, quand l'adolescence arriva, la rébellion arriva très vite elle aussi. Son défouloir, le rugby qu'il avait commencé dès ses 6 ans pour faire plaisir à son père étant donné que c'était le port qu'il avait lui même pratiqué étant enfant, ne suffisait plus à le canaliser. Il avait de l'énergie, de la colère et de la frustration à revendre. Arrivé à 14 ans, il commença très vite à faire des conneries à l'école, à sécher les cours puis à fumer des clopes, commettre divers petits larcins en ville, s'intéresser aux filles qu'il n'abordait pas toujours, voire jamais de la plus correcte des façons. Autant vois dire qu'il causa un tas de soucis à ses parents et qu'il fallut à plusieurs reprises le chercher au post de police ou aller s'expliquer avec le directeur de l'école pour la mauvaise conduite de leur aîné.  Les rares efforts de bonne conduite qu'il faisait, c'était pour son père, pour qu'il le regarde et soit fière de lui. Il a toujours senti que l'attention de sa mère était déjà perdue, acquise entière au divin petit David.

Son frère pendant ce temps restait son souffre douleur numéro un. La naissance de sa petite sœur quant à elle ne pesa pas bien lourd dans son quotidien. Il avait déjà lâché l'affaire et ne cherchait plus vraiment l'attention de ses parents. C'est ce qu'il pensait ça du moins par ce que sinon il ne ferait pas tant de conneries. Mais disons qu'il avait passé l'âge de se montrer mesquin vis à vis d'un bébé. Disons juste qu'il se contenta d'ignorer autant qu'il le pouvait ce nouvel arrivant dans la famille qui était accueilli presque comme un miracle par ses parents.

Le lycée arriva et les conneries continuèrent ainsi que ses maltraitances vis à vis de son frère que même ses amis ne pouvaient comprendre. Mais en effet, ils ne pouvaient pas comprendre ce profond ressentiment contre ses parents qu'il avait et qu'il ne pouvait exprimer que contre la source de ce ressentiment, son frère ! Évidemment il ne brilla pas par ses performances académiques et loupa même passablement ses examens d'entrée à la fac. De toute façon ses parents avaient pas de quoi payer et ça ne l'intéressait pas. Il savait déjà depuis des années qu'il allait vivre de petits boulots divers, jouissant de sa force et de sa carrure déjà impressionnante pour son âge. Mais c'est sans enthousiasme qu'il voyait poindre son entrée dans la vie active. Même si la perspective de s'éloigner de sa famille ne lui déplaisait pas du tout.

Puis arriva l'épidémie qui ne lui laissa pas le loisir de quitter sa famille. Son père le chef de famille eut le nez creux et comprit très vite que les choses tournaient mal et que c'était en s'isolant des villes qu'ils auraient une chance de survivre. Et c'est ainsi que les Lloyd rejoignirent parmi les premiers Hope City qu'ils participèrent à fonder alors que la civilisation moderne s'effondrait peu à peu. Une fois la vie de la ville un peu plus structurée et que les ressources commencèrent très vite à manquer à mesure que de nouveaux survivants arrivaient, lui et son père se reconvertirent dans la récupération alors que la construction de la ville ralentissait et n’embauchait plus assez. C'était beaucoup plus risqué certes mais aussi beaucoup plus lucratif.

Mais un jour, en 2015, alors que la construction du quatrième district s'achevait et que Aaron devait s'aventurer de plus en plus loin avec son père, ce dernier commit une erreur. Il se fit sévèrement mordre et griffer par un infecté qu'Aaron finit par tuer. Aussi bien Aaron que le paternel savaient ce que ça voulait dire. Ils n'en avait pas longtemps à vivre. Durant les quelques maigres heures qu'il leur restait à vivre ensemble, ils parlèrent. Ils parlèrent comme ils ne s'étaient jamais parlé. Aaron n'a pas souvenir d'avoir autant pleuré. Son père ne s'était jamais livré ainsi. C'était un peu le cliché de l'homme fort, l'homme qui ne se plaint pas et qui subit et encaisse sans un bruit mais qui douille en silence. Là, il lança tout ce qu'il avait retenu durant toute sa vie. Toutes ses angoisses toutes ses craints, tous ses secrets, tout ce qu'il regrettait d'avoir fait ou ne pas fait, il le dit à son fils aîné. Il lui annonça entre autre qu'il n'était pas vraiment son fils, qu'il avait été adopté par ce qu'ils n'arrivaient pas à avoir d'enfant, jusqu'au jour où le miracle David est arrivé. C'était la raison pour laquelle ils n'avaient jamais pu réellement se conduire de la même façon avec lui et avec David. Mais c'est juste avant de se transformer en infecté que son père lui annonça qu'il regrettait de ne pas lui en avoir parlé avant, de ne pas avoir été un assez bon père pour lui mais surtout, qu'il ne regretterait jamais de l'avoir adopté et d'avoir été son père et qu'il était fière de lui. Il lui demanda de protéger le reste de la famille mais aussi de le tuer quand il aura perdu toute conscience comme dernières volonté.

Aaron ne parvint jamais à honorer aucune de ces deux derniers volontés de son père.

Après tout ce que lui avait dit son père, il ne pouvait concevoir de le tuer malgré ce qu'il était devenu. Il courut sans s'arrêter jusqu'à Hope City. Une fois arrivé à la maison familiale, tout ce qu'il put annoncer étaient ces mots : « Papa est parti ». N'importe quel autre parole aurait été au dessus de ses forces. Il refuse de parler de ce qui s'est passé à quiconque lui pose la question. Par honte mais aussi par immense respect envers cet homme qui était son père. Sa mère tomba en dépression et n'adresse plus la parole à Aaron depuis, le jugeant responsable de la mort de son maris et certainement aussi par ce qu'elle sentit que Aaron savait tout sur son hérédité. C'était le secret que tous les deux partageaient dans un silence gênant.

Quant à la seconde promesse, il ne parvint à la tenir car, en 2018, quand les districts 2, 3 et 4 tombèrent, Amy sa jeune sœur fut blessée par un infecté dans la cohue. Quand il s'en rendit compte, il ferma toutes ses émotions. Malgré le peu de sympathie qu'il avait pour sa sœur, son frère et sa mère... ça restait quelque chose de difficile à faire mais il devait le faire. Il devait protéger sa mère et son frère. Et surtout, plus jamais il ne voulait voir un proche devenir ce qu'était devenu son père. Aaron coupa tout et massacra sa sœur de sang froid. Il regarda ensuite son frère d'un air meurtrier avant de lui lancer :

«  T'as vraiment rien à foutre là, espèce de lâche. »

Il en voulait à son frère de ne pas être digne de leur père, d'être le seul et unique fils réel de cet homme auquel il voulait ressembler. La seule chose que lui inspirait ce frère c'est le dégoût, l'opposé de l'admiration qu'il a pour son père. La seule chose qu'il ressent pour lui, c’est une profonde déception. Et c'est depuis ce jour, depuis que le district 1 est le seul survivant de cette terrible nuit, il a quitté le domicile familial, ne supportant plus la vue ni de son frère ni de sa mère. Il ne passe les voir que de temps en temps pour s'assurer qu'ils sont toujours en vie... mais jamais de gaieté de cœur. Après tout, la seule image qu'ils lui renvoient quand ils le regardent, c’est celle du mauvais fils, du mauvais frère et du tueur de Amy.