Mon royaume pour un moteur (Libre)

La nuit noire mouchetée d'étoiles avait revêtu son rideau de soie, alors que Primus veillait, toujours perché sur la barricade, une jambe tapit dans la zone d'ombre rivalisant avec le danger dans un bras de fer alambiqué. La filiforme lune frileuse quant à elle, esquissa une griffe nacrée prête à fondre sur son unique proie du soir. Tout était si paisible, à l'instar du silence cosmique, que le moindre bruit suffisait à le rendre alerte. En plus de posséder une relativement bonne capacité de concentration, le garçon savait analyser les éléments en sa possession et agir en conséquence, bien que ses actions soient majoritairement effectuées en utilisant son ressenti personnel plutôt que la logique pure. Cependant, le scénario inusité impliquant les agissements directs de la Sentinelle ne s'ébauchait que de petites séquences. En effet, son rôle principal était avant tout d'assurer la quiétude en patrouillant dans les zones à risques, tel que le quartier Nord affermissant la sécurité du Gouverneur, afin que lui et sa petite famille puisse dormir sur leurs deux oreilles, ainsi que la zone Est, cette dernière visiblement trop sujette au kidnappage des ressources. Ensuite, le garçon devait faire son rapport aux autorités compétentes dès son passage de relais avant de clore son service.

Fourmis dans les cuisses, le rouge bondit du mur en se réceptionnant sur ses pieds, ses orteils se fléchissant pendant que ses genoux, ainsi que sa colonne vertébrale, encaissèrent son poids. Déambulant dans un petit sentier en faisait circuler ses orbes tantôt entre la canopée de la famélique végétation, tantôt entre les plants poussant craintivement, des élucubrations émises de conversations écumèrent son ouïe.

Primus avait un code d'honneur transmis par son mentor, vieux loup de mer lui ayant enseigner les règles disciplinaires d'un bon marin lors de la navigation. Pendant la garde, il était formellement interdit de boire, de se divertir, de parier, et de se parler. Ce qui semblait évident puisque ses mêmes notions nuisaient à la définition de la concentration absolue. Toutefois, le tympan promeneur, sa membrane fibreuse capta une information capitale. Un groupe de gars d'un nombre indéterminé adjoignait une mission de récupération d'un moteur dans le district, trois, non, deux. Sa fratrie et lui-même avait débarqué avant l’effondrement de la dernière préfecture et si l'opportunité de nouvelles perceptives était alléchante, Primus doutait que nouveaux éléments puisse y fleurir, bien qu'une partie de lui-même s'enracina à y croire.

En réalité, en plus de s'assurer d'un certain contrôle par le biais de son poste de Sentinelle, gérant les entrées et les sorties, la quête avait trouvé un intérêt affirmatif à sa cause. Karma, l'un de ses plus jeunes frères, avait bousillé ses rangers au Red Canyon lors d'une excursion de cinq jours et si Primus lui avait prêté les siennes afin de lui permettre de continuer ses perambulations en limitant les risques, il était indéniable qu'une nouvelle paire devait s'inclure dans son inventaire.

De plus, Primus ne pouvait laisser un groupe de camarades s'y risquer sans sa protection. Il possédait une agilité aiguisée par de nombreux entraînements et ne manquait pas de force brute, bien que certains de ses réflexes soient encore à modeler pour convenir davantage à l'harmonie du groupe.

***

Alors qu'un brouillard timide enveloppait les cultures, le garçon chemina placidement jusqu'au point de rencontre. Dans la région de Californie, le climat méditerranéen chaud et sec en été, connaissait des précipitations plus basses que celles du Japon, méconnaissant la saison des pluies. Selon les natifs, le mois d'octobre était encore favorable, mais dés Novembre, les conditions seraient moins propices aux récoltes ou encore au récupérage.   

Instantanément, des effluves de cigarette harponnèrent ses poumons d'empreinte de monoxyde carbone et Primus lutta pour ne pas respirer le gaz chancre au creux du col de son sweat blanc délavé, jadis carmin. Il n'était pas à une entrave escomptée si cette dernière n'enclenchait pas son asthme. Son tube de ventoline se vidait à vitesse vertigineuse puisqu'il devait le partager à quatre, le garçon devait économiser.  

Plus la distance se consumait et plus le garçon pouvait distinguer son interlocuteur.

C'était Aaron et il était seul. Sa silhouette colossale s'édifiait à l'horizon, tandis que Primus s'évertuait, dans son esprit embruiné en proie à un certain malaise social, de l'aborder. Véritable enchevêtrement d'introverti, il ne sut si commencer par un "salut" ou un "yo mec." Si le premier choix était trop formel et sérieux dressant d'ores-et-déjà une barrière sociale et probablement hiérarchique entre les deux hommes, la seconde piste, à l'antipode, apparaissait nonchalante et détachée.

Le premier contact était important et surtout au sein de ce monde où l'art de la communication avait plus que sa place. Alors, mains dans les poches, Primus se décida à emprunter l'embranchement le plus sur, tourner directement dans le vif du sujet sans se dépêtre de son sourire communicateur, gardant néanmoins un timbre neutre.

- Bon matin. Besoin d'aide ? J'ai entendu dire que tu avais besoin d'un ou deux mecs pour ton moteur.

Dressant un bras, boule de phalanges repliée en direction de son menton, la Sentinelle cogna dessus avec sa main adverse avant d'élargir la commissure de ses lèvres, sa mâchoire s'ouvrant, laissant apparaître des dents acuminées.

- J'ai les bras, je suis partant !

Pivotant ses cervicales un instant pour évaluer les environs de son habitude primitive et de capter les informations à sa disposition immédiate, le garçon piquant sa crinière à l'image d'un porc-épic constata dare-dare qu'ils étaient restreints à un petit nombre, ce qui n'était pas foncièrement péjoratif. En effet, réduire le nombre de chasseurs amenuiserait la bévue des uns et des autres, mais ajouter des membres augmentait mathématiquement les chances de survie.

- Tu as déjà réfléchi à un plan, j'imagine.

Affirmation placée sous la forme semi-interrogative, la question était rhétorique puisqu'un gars de l'acabit de son camarade ne pouvait décemment pas foncer tête baissée sans avoir pris en compte la configuration de l'espace, des possibilités de flux des Rôdeurs et de l'étude du terrain.

- Si ça t'arrange, je peux être envoyé en première ligne, c'est mon taff après tout !

Proposa-t-il, pas seulement dans une optique de Loyal-bon toujours dans l'alignement arbitraire, mais parce qu'apporter sa pierre à l'édifice, notamment pour cette cause, l'aidait à assurer de la protection d'Aaron et pas parce qu'il l'estimait plus faible que lui en terme de capacités de combat et d'esprit d'analyse, mais parce que chaque membre avait de la valeur et qu'il était de son rôle de salvateur de tous les protéger.

OMG mais... Aaron quel miracle ! Quelqu'un a finit par répondre à ton annonce ! Comme quoi tu prouve une fois de plus que la politesse et la communication c’est quand même vachement surfait et que pas besoin de toutes ces merdes ! Et je dis ça en étant ironique mais le pire est que Aaron pense un peu ça dans le fond. Pour lui, c'est des créations d'un autre temps, d'une société qui n'existe plus depuis l'apparition du virus. Le monde d'avant appartenait aux marketeux, aux diplomates et autres agents de com'. Le monde d'aujourd'hui appartient aux gars comme lui. Les gens qui ont les ressources physiques ou l'ingéniosité de pouvoir survivre. Dans le fond, Aaron s'épanouissait presque plus dans ce monde en ruine que dans la société d'avant. Il n'irait pas verbaliser la chose de la sorte et je ne suis même pas persuadé qu'il soit capable de conceptualiser la chose jusque là mais je me demande si dans le fond, Aaron ne fait pas partie de ceux qui pensent que cette épidémie n'est pas une punition divine sur notre société qui était malade notre système sociétal à bout de souffle et au final un moyen de faire un peu de sélection naturelle dans tout ce merdier. Mais je divague !

C'est donc un jeune homme qui arriva et salua Aaron qui  tourna la tête pour souffle sur le côté la dernière bouffée de sa clope avant d'en jeter le mégot par dessus son épaule. Habituellement, il a tendance à le garer au bec mais là, étant donné les risques de la mission, il ne pouvait s'encombrer d'un détail comme ça. Il observa un moment d'un regard un peu insistant et inquisiteur le jeune homme qui se présentait à lui. Il ne se rappelait plus son nom mais il était certain qu'il le connaissait de vue. Le jeune homme travaillait habituellement comme sentinelle en haut du mur. Il l'avait fatalement croisé à plusieurs reprises. Et puis de toute façon, dès qu'on vit à Hope City depuis sa fondation comme les Lloyd, eh bien il y a peu de chance qu'on ne connaisse pas à peu près tout le monde dans une communauté aussi relativement petite. Le regard de Aaron était presque inquisiteur comme s'il auscultait Primus du regard, comme s'il cherchait à détecter ses failles ou ses qualités en l'observant. Je vous préviens, ça sert à rien, il est pas mentaliste ! Il devinera pas grand chose sur Primus en l'observant. Il donna alors son accord verbal à Primus pour rejoindre son expédition. Mec ! Fais pas genre tu le choisis ! T'as pas le choix c'est le seul qui s'est pointé !

- Très bien.

Ouais... Comme dit plus haut, Aaron et la communication, ça fait deux. Il n'est juste pas doué pour parler avec les gens en règle générale et se contente du stricte minimum. Et si vous voulez mon humble avis, même le stricte minimum il est pas tout à fait respecté. Aaron commençait déjà à se tourner pour se diriger vers la porte quand Primus se mit à lui demander s'il avait un plan. Et en effet, Aaron se dit que c'était pas con qu'il lui donne au moins le minimum d'information. Pas con ? Mais mec t'es débile ! C’est le béa-bas ! Il se retourna de nouveau vers Primus pour lui faire un debrief... Accrochez-vous et e loupez pas un seul mot par ce que ça va être bref !

- J'ai repéré une voiture dans le district 2. Je sais que le moteur est complet. Elle est dans une zone dangereuse, très facile d'accès mais c'est la seule voiture avec un moteur complet que j'ai repéré. Elle se trouve au sud-ouest du district, non loin de l'ancien marché.

Ok, ça c'est la localisation... Mais le plan ?! Eh bah pour être franc, il en a pas vraiment. Habituellement, il y va à l’instinct et surtout seul. Avant, il travaillait avec son père et ils arrivaient à travailler ensemble presque sans se parler, ils se connaissaient assez bien pour ça. Mais là mon bon Aaron, ce type tu le connais pas, tu vas ps pouvoir fonctionner à l'instinct. Il va falloir communiquer. Et je pense que le fait que Aaron arrête ses explications là fit comprendre à Primus que Aaron n'avait pas réellement de plan. Sentant qu'on attendait quand même de lui un peu plus que ça, il ajouta quelques mots.

- J'aurai besoin de toi pour protéger mes arrières quand je devrai démonter et porter le moteur. Mais risque pas ta vie pour me protéger d'une simple morsure. Je suis immunisé.

Aaron jugea utile se préciser ça. Mine de rien, il est un minimum empathique et il pense aux autres. Il prévient en somme que bon, Primus n'a pas a risquer sa vie et une morsure pour éviter à Aaron une simple petite blessure faite par un marcheur. Non, il devra plutôt le protéger d'un éventuel marcheur ancien, s'ils ont la malchance de tomber sur un, ou sur une horde qui ne ferait pas que le mordre mais le déchiquetterait. En fait, si on creusait, Aaron avait des ébauches de plans... mais il ne comptait pas les donner maintenant, c'était trop tôt. Son expérience des sorties dehors lui avait appris qu'il n'y a aucun plan défini à l'avance qui marche avec les marcheurs. Ils sont erratiques et imprévisibles. Non, le mieux, c'est d'improviser et d'utiliser son instinct. Il savait qu'ils pouvaient tenter des diversions etc. Mais il préférait voir quelle attitude adopter le moment venu. Par exemple, autant il est envisageable de dézinguer un marcheur ou deux, autant un groupe de 10, c'était trop risqué et ils n'étaient pas là pour ça.

- Pour le reste on verra le moment venu. Et... Je préfère passer devant et que tu surveille mes arrières, je connais bien la route.

Cette réponse comme les autres s'était faite sur un ton sec et d'une voix un peu rugueuse, malpolie et mal léchée. N'y cherche pas offense mon ami, c'est juste que Aaron est comme ça avec tout le monde ; Je dirais presque même que tu as de la chance qu'il n'ai au final ignoré aucune de tes questions. Il fit un signe de tête comme pour savoir si Primus avait d'autres questions ou s'ils pouvaient y aller. Tu vas le voir, Aaron est quand même le mec le plus funky du coin !