mayday!! ≛ Albion

Cela faisait à présent cinq ans qu'Albion avait quitté la nécropole qu'était devenue Las Vegas pour entamer son errance dans ce monde condamné. Non, la civilisation humaine était condamnée mais le monde finirait par s'en remettre. Les humains étaient un virus, incapables de maîtriser leurs pulsions sexuelles, ils s'étaient multipliés encore et encore, pillant les ressources de la nature. L'humanité était le cancer de ce monde, sinon Albion les aurait comparés à des animaux, agressifs, méchants, sauvages. Ils ne pensaient qu'à eux, ils étaient le Mal incarné et les marcheurs étaient le remède. Las Vegas avait été gangrenée par la perversion, par la folie humaine et Albion les avait tous fait finir dans l'estomac des morts-vivants juste avant d'être mêlée contre son gré à leurs jeux sexuels et dépravés. C'était la goutte qui avait fait déborder le vase, comme on dit. A partir de là, la jeune femme avait semé la mort dans d'autres communautés de survivants où là encore, la loi du plus fort prévalait, ou c'était chacun pour soi. Elle avait croisé des humains qui pêchaient la parole de Dieu, arguant que le fléau zombie était une punition divine mais ils n'allaient pas assez loin pour elle, pensant survivre à l'apocalypse, quelle hérésie. Elle avait croisé des cannibales mais ne s'était pas jointe à eux, ouvrant une brèche dans leur défense et dans laquelle les marcheurs s'étaient déversés. Le cannibale cannibalisé ou l'ironie du sort. Elle avait croisé des réfugiés qui sacrifiaient régulièrement un des leurs au Baron Samedi pour que leur survie soit assurée, pour que leurs récoltes soient abondantes. Typiquement humain, de la bassesse où que son regard se porte.

La jeune femme encapuchonnée avait évité les zones radioactives, les centrales et centres de refroidissement de déchets nucléaires finissant par contaminer l'eau, l'air et la terre sur de vastes zones mais d'une façon plus limitée que prévue dans les "scénarios catastrophes" sinon il n'y aurait plus du tout de vie sur terre. Dommage. Elle avait évité les grandes villes infestées de marcheurs, les pillards et les meutes de chiens. Elle avait traversé des forêts réduites en cendres, aussi noires que son cœur, aussi noires que son âme. Son cœur semblait en cendres, elle avait l'impression d'avoir constamment un goût de métal et donc de sang dans la bouche alors elle errait, vampire solitaire, spectre encore relié à cette existence par sa résolution implacable.

Puis Albion avait eu un but, rallier la zone 51 afin de débusquer une arme capable d'achever l'humanité. La rumeur était peut-être fausse mais elle l'avait entendue dans trois régions différentes alors ça valait le coup d'aller vérifier. Par contre, la zone était infestée de marcheurs et il était possible que la base militaire soit fermée et ultra sécurisée. Il lui fallait plus de ressources pour y pénétrer et surtout il lui fallait des alliés. Albion devait se tourner vers les survivants de la région. La jeune femme découvrait alors Hope City, une ville fondée près de la zone 51, ce qui à son sens pas un hasard, sinon les humains auraient choisi un lieu de vie moins aride que le Nevada. En même temps, comme pour Las Vegas, il y avait moins de densité démographique donc moins de marcheurs en principe. Dire que si elle avait entendu cette rumeur à la cité du vice, elle n'aurait été alors qu'à environ cent-soixante kilomètres de Hope City mais elle ne regrettait pas son périple qui lui avait confirmé à quel point les humains ne devaient pas survivre et imiter le phœnix qui renaîtrait de ses cendres. Les habitants de Hope City confirmeraient certainement ce jugement.

La perfide Albion devait donc s'intégrer à cette communauté qui avait subi de toute évidence un coup très dur récemment, peut-être quelques mois plus tôt ou un an mais peu importait, les blessures étaient encore fraîches vu que la ville avait perdu visiblement les trois quart de sa surface, l'abandonnant aux marcheurs qui erraient dans ces trois zones. Dans ces conditions, les rescapés devraient accueillir tout survivant venu de l'extérieur mais la jeune femme préférait les observer d'abord, ne prenant aucun risque. Sans cette paranoïa, elle aurait fini dans l'estomac d'un cannibale humain, ce qui aurait été particulièrement cynique.

Elle rôdait donc quand elle entendait un appel à l'aide. C'était peut-être un piège alors elle s'approchait encore plus furtivement. Non, pas d'embuscade en vue. Un adolescent s'était réfugié sur le toit d'une cabane et plusieurs marcheurs tendaient les bras vers lui avec une avidité des plus plaisantes mais Albion se disait que pour avoir survécu jusqu'ici, le blonde devait venir de Hope City. Il devait avoir de la famille, des amis qui seraient reconnaissants de le voir revenir sain et saufs. Après, elle ne croyait pas vraiment en l'amour familial, en l'amour tout court et en l'amitié mais cette hypocrisie pourrait lui permettre d'atteindre ses objectifs.

Albion allait par conséquent sauver la vie de l'adolescent.

Ce dernier avait du se faufiler dehors sans demander l'autorisation, puis sous la menace, il était grimpé sur le toit de cette cabane. Le problème, c'est que celle-ci était branlante et que les marcheurs la heurtaient très violemment en voulant atteindre leur proie. La structure tremblait, vacillait et s'effondrait. Le blond n'était pas blessé par la chute mais il était alors encerclé par les zombies. Heureusement pour lui, Albion était alors sur eux et elle les terrassait en "deux temps trois mouvements".

"Recevez miséricorde."

Disait-elle eu dessus des marcheurs au cerveau perforé en faisant le signe de croix avant de se tourner vers l'humain étalé à ses pieds et de l'observer quelques secondes en silence tout en nettoyant la lame de son katana et de le ranger dans on fourreau dorsal. Ceci fait, elle lui tendait la main pour le relever.

"Viens avec moi si tu veux vivre."

La nuit était tombée, ce serait imprudent de rallier le district dans ces conditions, aussi Albion comptait-elle emmener l'adolescent pour la nuit dans sa planque la plus proche, une cabane installée sur pilotis et tellement recouverte de végétation qu'elle en ressemblait à une sorte d'arbre mutant.

Albion n'était pas surprise que l'adolescent lui prenne la main tendue, après tout c'était pour l'aider à se relever et ainsi partir plus vite. Par contre, c'était davantage étonnant qu'il continue à lui tenir la main une fois debout mais elle le laissait faire parce que ça lui permettait de le guider plus sûrement dans la nuit qui déposait sur les lieux son plus beau voile sombre. La nuit tombait, quoi.

"Demain, désolée."

La jeune femme n'était pas désolée du tout mais elle se devait de faire semblant d'avoir de l'empathie pour ne pas effrayer le gamin, ce qui amènerait de la colère et compliquerait la situation. Ses proches seraient inquiets mais ce serait pire s'il mourrait. A une époque, il aurait suffi de passer un coup de fil pour qu'il soit sauvé par ses mêmes proches, au pire pour les rassurer dans le cas présent mais cette époque était révolue, peut-être à jamais si tout se passait bien.

Une fois dans sa planque, Albion en colmatait l'issue avant d'allumer une vieille lampe à pétrole, on ne verrait pas sa clarté de dehors, ça ne devrait donc pas attirer les marcheurs. Elle se demandait comment l'adolescent la percevait, avec ses habits confectionnés par ses soins dans une tissu pratique et confortable qui retenait la chaleur en hiver. Pour l'été, elle utilisait d'autres tissus. Elle retirait la capuche de son coupe-vent puis ce dernier, dévoilant ses cheveux longs coiffés en chignons.

"Je m'appelle Albion."

Disait-elle simplement en relâchant ses cheveux sur ses épaules avant de soigner les égratignures de l'adolescent avec de l'alcool à 90° degré. Ca piquait mais il fallait ce qu'il fallait. Albion ne connaissait pas la politique du district en matière de blessures reçues dehors, ils pouvaient tuer les blessés par peur d'une contamination. Elle avait déjà vu ça, elle avait déjà vu pire. Son arme était rangée au ratelier mais elle gardait quelques lames dissimulées au cas où sur elle même si son invité ne devrait pas l'agresser.

"J'ai perdu tous mes proches, je cherche l'espoir."

C'était vrai d'une certaine façon même si ce n'était bien sur pas l'entière vérité. Ce disant, elle plaçait une grosse couverture chaude sur les épaules du gamin parce que toute source de chaleur aurait attiré les morts-vivants et les prédateurs humains, toujours par calcul afin qu'il soit rendu à ses proches au mieux de sa forme. Du coup Albion n'avait pas de couverture pour elle, il faut dire qu'elle ne recevait jamais personne, nulle part. Elle concluait donc pour le moment en essayant de ne pas frissonner malgré le froid ambiant.

"Parle-moi de ta communauté."

Si l'adolescent était reconnaissant de ce sauvetage - et c'était à peu près certain qu'il l'était - ça devrait le rendre loquace dans le bon sens du terme, celui qui permettrait à la jeune femme d'avoir le plus possible d'informations possibles sur le district, même les plus insignifiantes, tout serait bon à entendre et le tout lui permettrait de savoir à peu près où elle mettrait bientôt les pieds, pour reprendre cette expression. Ca n'étaient à priori pas des crapules, l'humain sauvé n'y aurait pas eu sa place et il aurait fait selon elle un très mauvais appât. Elle l'écoutait donc avec son air méfiant par nature de celle qui a trop souffert et ne veut plus s'attacher à personne. C'était du moins l'impression que la jeune femme donnait pour ne pas dévoiler sa véritable noirceur.

Il s’appelait Philip et il avait l’air gentil. Il devait même être bienveillant en fait. Non pas qu’Albion serait attendrie par un virus mais ce constat semblait indiquer que Hope city ne serait pas une communauté peuplée de monstres à visage humain. L’adolescent aurait du être un esclave mais il n’avait nulle marque de collier au cou ou d’entraves aux poignets. Ce constat rassurait et inquiétait la jeune femme dans le même temps. Ca la rassurait parce que la communauté pourrait donc l’accueillir facilement, ainsi qu’il le disait et elle le croyait. Ca l’inquiétait parce qu’elle n’avait pas envie de côtoyer ce qui n’était pas censé exister dans la réalité : Des hommes et des femmes de bonne volonté, du genre à vivre et laisser vivre, du genre solidaires. Le moment venu, son bras ne devrait pas faiblir mais c’était encore très loin.

"Tu es courageux."

La brune disait ça parce qu’il avait certes grimacé quand elle avait désinfecté ses plaies mais qu’il n’avait pas protesté, il ne s’était pas plaint non plus. Quant à lui parler du district, il ne semblait pas comprendre ce qu’elle voulait savoir au sujet du district. Bien sur, elle n’allait pas demander des informations sur leur défense, sur leur arsenal et le nombre de combattants.

"En effet, je ne suis pas d’ici. J’erre en évitant les pillards et les cannibales. Oui, le monde est dangereux et pas seulement à cause des marcheurs. Je te rassure, je ne te mangerai pas."

Ce disant, elle sortait deux boites de pâtes bolognaises. Elles avaient été fabriquées en an 2000 mais avaient une durée de conservation de vingt-cinq ans. Ceci dit, vues leur lieu de conservation, elles devaient être mangées en priorité par rapport aux autres récupérées par la rôdeuse. Elle en tendait une à Philip, celle de son choix et mangeait le contenu de l’autre.

"Je voudrais savoir si tu aimes vivre à Hope City, si tu t’y sens en sécurité, s’il y a une forme d’entraide ou si c’est chacun pour soi."

Les deux cas de figure avaient leurs avantages et inconvénients. En tout cas, les pâtes étaient presque bonnes, un brin trop salées mais ça rallongeait la conservation. Comme ça donnait soif, la jeune femme tendait une gourde à son invité après en avoir pris deux gorgées d’eau.

Albion observait l'adolescent et elle se disait qu'il avait un tout petit peu plus âgé que ce qu'elle avait estimé au premier abord. Il était juste plus malingre que la moyenne alors elle croyait ce qu'il lui apprenait sur Hope City et elle n'aimait vraiment pas ça. La rôdeuse se considérait comme une âme noire mais elle avait commise des erreurs par le passé. A deux reprises, elle avait trop fait confiance aux marcheurs sur le moyen terme. A deux reprises ! La solidarité avait beaucoup trop présente dans ce district et la jeune femme espérait que Philip idéalisait cet endroit, pourtant il était la preuve vivante de ce qu'il avançait : Une communauté malveillante comme toutes celles qu'elle avait détruites aurait éliminé cet adolescent malingre.

"La milice, pourquoi pas. Mes mains ne savent que détruire mais ce n'est pas toujours négatif. J'ai détruit les chaînes d'esclaves et ils sont partis."

C'était l'une des erreurs d'Albion, libérer des esclaves en se disant qu'ils finiraient inéluctablement dans l'estomac d'un marcheur. La petite fille qui lui avait dit merci n'avait rien éveillé en elle. Rien. Rien. Rien. Rien du tout. Absolument rien. Elle n'était qu'une maladie.

Une maladie.

Une maladie.

Une maladie.

"La joie de tes proches de te retrouver sera ma seule récompense. Je demande juste à être traitée comme les autres et si les tiens donnent leur chance à tout le monde, alors ça ira mais merci pour ta proposition … Et j'aurais du y penser avant … Je vais essayer de contacter la milice en faisant du morse. Je reviens."

La rôdeuse sortait par le toit et montait sur le long poteau electrique qui jouxtait sa planque. Il était abîmé par le temps mais tenait le coup. Là, elle avait une ligne dégagée jusqu'au mur, à la fois si près et si loin. La jeune femme notait qu'il y avait plus d'activité que d'habitude, des lumières qui s'agitaient, cherchant certainement à voir si Philip était près du mur. Albion utilisait alors sa dernère lampe torche en état de marche, une de celles qui se rechargeait avec une petite manivelle, ce qu'elle faisait dans le froid mordant de la nuit avant d'activer la lampe par courtes impulsions. Elle leur disait : Contact. C'était une façon d'amorcer la communication mais il fallait que quelqu'un repère ses appels, comprenne qu'il s'agissait du morse et fasse appel à un allié qui saurait le lire, puis répondre. Pendant quelques minutes, il ne se passait rien et elle devait actionner encore une fois la manivelle, puis toutes les lumières s'éteignirent sauf une qui se mit à briller en alternance. Lumière courte, lumière longue … Albion déchiffrait laborieusement le message qui voulait dire à peu près : Qui êtes vous ?

Le lien était noué et il était temps parce qu'elle n'allait pas tarder à subir une hypothermie carabinée.

Albion revenait complètement frigorifiée, elle claquait des dents pendant un moment avant de se sentir mieux peu à peu, au chaud. En fait, Philip était en train de partager la couverture avec elle et se serrait contre elle, lui transmettant ainsi sa chaleur corporelle et réciproquement.

"Ca va mieux … J'ai pu entrer en contact avec la milice en utilisant le morse … Ils ne peuvent pas venir, c'est trop risqué de nuit ... Je leur ai dit que tu étais en sécurité et que tu serais de retour demain …"

Elle entendait alors un bruit contre son oreille mais c'étaient les battements de cœur de Philip.