Œuvrer dans le noir [feat. Theresa]

La nuit était fraîche, dans le désert du Nevada. Hope City était bercée entre deux mondes, comme lorsque somnolent, vous ne savez pas exactement où vous vous trouvez dans la réalité, le Premier District s'agitait dans son sommeil sans pour autant se réveiller, n'ayant pas conscience de ce qui l'entourait.
Assis en tailleur au sommet de la barricade, assez épaisse de ce côté, Tiago était appuyé contre un morceau de taule et admirait les étoiles. Aucune pollution quelle qu'elle soit ne venait gâcher le tableau, c'était splendide.

Il avait froid. On aurait pu se dire "Mais quelle idée de porter un kilt, aussi?", sauf que c'était tout ce qu'il avait trouvé à se mettre après que quelqu'un lui ai piqué ses autres fringues. Un kilt en bonne et due forme, avec la bandoulière en tissu, les carreaux et les petits boutons, même s'il en manquait, qu'il était élimé et que le bleu et le vert se mêlaient sous une couche de gris, à cause de la saleté. Il éclata un moustique avant de se frotter la main pour se débarrasser des résidus. La lune faisait miroiter les parties réfléchissantes de sa lampe frontale bricolée mais aussi les piercings qu'il portait aux oreilles. Il les avait bien protégés, ceux-là, le voleur n'a jamais retenté sa chance. Il était en t-shirt mais portait une veste épaisse quoiqu'usée qui lui tenait chaud.

Bientôt, une autre lueur attira son attention, en contrebas. Il se fendit d'un sourire en reconnaissant celle qu'on surnommait Luciole.

Tiago n'avait jamais eu l'occasion de l'approcher, il ignorait son apparence, jusqu'à son genre, pour tout avouer. Ce n'était qu'au marché qu'il en avait entendu parler il y avait quelques mois de cela. Une âme solitaire qui franchissait les barricades à la nuit tombée,  armée de sa lampe et d'on ne savait quoi d'autre.

Depuis, lors de ses veillées nocturnes, le regard de Tiago suivait cette lumière dès qu'elle apparaissait, la perdant parfois pour la retrouver ailleurs dans le Deuxième District et ce jusqu'à ce qu'elle revienne. Il lui était arrivé de s'endormir pendant son observation, bercé par ce qui était devenu son feuilleton hebdomadaire.

Elle revenait toujours, cette Luciole, attisant son intérêt comme l'on souffle sur des braises. Tiago se leva doucement, ajusta sa lampe frontale, glissa son couteau dans une de ses bottes qui lui montait presque au genou et empoigna son pied de biche.

Que ceux qui n'ont jamais eu envie d'intervenir dans leurs shows préférés lui jettent la première pierre, mais ce soir là, se dit-il, il avait assez d'énergie pour ne pas être qu'un spectateur. Il partait suivre la lumière.

Au début, Tiago l'avait suivie par le haut de la barricade mais il dû passer de l'autre côté assez rapidement, mettant en marche sa lampe frontale. S'il ne perdait pas son objectif de vue, cette petite lumière qui laissait deviner une silhouette humaine, il restait prudent, très prudent.

Il n'y avait pas d'infecté visible ici, alors il avança pour ne pas perdre de vue la petite étoile solitaire. Elle s'arrêta, sortit quelque chose d'un sac mais il ne pouvait voir quoi, ni de quel genre de sac il s'agissait. La lumière ne bougeait plus et était assez basse, la silhouette s'était-elle accroupie? Tiago était en territoire hostile et ignorait totalement comment réagirait cette personne si elle se sentait suivie.

Après avoir vérifié qu'aucune engeance ne l'attraperait en cours de route, il sauta sur une caisse, puis sur le toît d'un abris solide, à une distance acceptable, laissant le bruit de l'impact prévenir l'autre de sa présence.

Dire qu'il n'avait pas peur était faux. Il pouvait très bien se prendre une balle, ou autre chose. Il pouvait se faire surprendre par un marcheur parce qu'il n'avait jamais franchi les barricades à une heure si tardive. Il pouvait se passer tout un tas de choses. Ce danger constant faisait de l'effet à Tiago, mais seulement quand les risques n'étaient pas encourus pour rien or, il n'avait aucun autre réel objectif que de suivre cette personne qui l'intriguait. C'était pour cela qu'il annonçait sa présence en ne masquant pas le bruit de ses mouvements, pour annoncer la couleur. Il était encore assez près du D1 pour se désengager de son coup de tête, si ça se passait mal.

Voyant le visage de l'inconnue s'éclairer dont il entendit la voix, bien que basse, il voulut montrer patte blanche en détachant sa lampe frontale avant de diriger le faisceau vers lui. Quelle idée à la con, il ferma aussitôt les yeux à cause du violent changement de luminosité.

"Je suis pas là pour te tuer.", déclara-t-il, une grimace de douleur déformant ses traits.

Il voulait éviter de donner trop d'explications de là où il était, de peur que les engeances l'entendent. Remettant sa lampe à sa place, sur sa tête, il leva les mains pour signaler qu'il n'était pas agressif et parcouru la distance qui les séparait. Bon, d'accord, il mettait ainsi en valeur son beau pied de biche, mais il espérait que la Luciole, assez intelligente pour survivre seule là-dedans, n'interprète pas mal son avancée.

Il fit moins de bruit que ce à quoi on aurait pu s'attendre en le voyant sauter d'un morceau de taule qui servait de toit à l'endroit où se trouvait son héroïne de télé.

Il était assez proche maintenant, ils pouvaient aisément discuter en parlant à voix basse, sans forcer les syllabes trop audibles.

"C'est donc toi l'étoile filante... Je t'ai observé plusieurs fois du haut des barricades. Tes escapades nocturnes m'intriguent, tout comme toi."

Une fois habitué au peu de lumière hors des murs du district, il se rendit compte que la lune était assez claire pour les aider à distinguer les formes autour d'eux cela dit, il savait qu'il ne fallait jamais baisser sa garde, pas ici. Le frisson du danger. Il commençait à le sentir. Un sourire mutin se dessina sur son visage et il passa une main dans sa nuque, sentant sur son échine le souffle du défi.

"J'ai pas pu résister à l'envie de t'accompagner, confessa-t-il. Tu veux bien? Je ne suis jamais sorti de nuit avant."

L'étoile filante ne bougeait pas, sans doute restait-elle méfiante, il pouvait le comprendre.